Archives mensuelles : novembre 2019

Les enfants verts, conte ou prophétie de la forêt nourricière ?

peinture Sylvie Dallet (techniques mixtes, automne 2019)

Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018, est aussi une femme engagée, attentive à la nature des hommes et des plantes. Elle a publié un extraordinaire roman policier favorable aux animaux, dans lequel elle se met en scène, horrifiée par la chasse :

Sur les ossements des morts (2012) est un roman proche du style de Fred Vargas, finesse et humour brodent un récit foisonnant qu’il faut lire et relire.
On connait moins son opuscule les Enfants verts, un conte initiatique qui s’inspire pour les métamorphoser deux épisodes mythiques de deux enfants issus de la forêt anglaise, allemande puis polonaise.

Pour mémoire, des récits anglais du XII ème siècle mentionnent une première fois l’apparition d’enfants verts. Dans le comté de Suffolk, deux enfants à la peau verte seraient apparus, capturés dans la forêt par les paysans village de Woolpit. Frère et sœur, les enfants verts s’exprimaient dans une langue inconnue et refusaient de manger autre chose que des fèves. Au fil du temps, ils apprirent à se nourrir d’autres aliments et perdirent leur couleur verte, mais le garçon, malade, mourut peu après le baptême des enfants. La fille s’adapta à sa nouvelle vie, mais son comportement continuait à présenter des signes d’insoumission à la vie en société.

Cette histoire n’est mentionnée que dans deux sources médiévales : l’Historia rerum Anglicarum et la Chronicum Anglicanum. Elle constitue peut-être un compte rendu d’un événement ayant réellement eu lieu, mais il est possible qu’il ne s’agisse d’une légende populaire décrivant une rencontre imaginaire avec des créatures souterraines ou extraterrestres. Le mythe se situe là dans toutes ses caractéristiques : apparition, étrangeté, relatée oralement par la mémoire populaire. Le poète et critique britannique, Herbert Read s’inspire en 1934 du mythe au travers son unique roman, L’enfant vert. Dans ce récit, le héros, The Green Child,  retrouve la soeur et voyage avec elle dans le monde d’origine des enfants verts, où il découvre la sagesse et le sens de l’Univers. Une sorte de Petit Poucet qui n’aurait pas quitté la forêt nourricière.

L’auteur John Macklin a raconté une histoire très similaire à celle des enfants verts dans son livre Strange Destinies (1965), qu’il situe en Espagne dans un bourg nommé Banjos. Un après-midi du mois d’août 1887, deux enfants sortirent d’une grotte située aux alentours du village de Banjos. Ils marchaient en se tenant par la main et traversèrent un champ où des paysans étaient en train de moissonner. Ils avaient l’air craintif et ils parlaient un langage incompréhensible. Leurs vêtements étaient faits d’un tissu inconnu et leur peau était complètement verte. Comme les enfants du Suffolk, le garçon ne survit pas, tandis que la fille vécut encore quelques années, intégrée en apparence à la communauté du village.

Dans la culture des pays celtiques, le vert est souvent associé au peuple du Sídhe, fées qui vivent dans des royaumes souterrains bâtis sous les tertres. Une autre symbolique relie la couleur verte à la mort, en accord avec la conception traditionnellement répandue selon laquelle les fées seraient les esprits des personnes défuntes. 
La couleur verte sous-entendrait donc que les deux enfants venaient du monde des fées/des morts. Selon certains folkloristes, ce fait serait renforcé par le fait que dans la culture populaire les fèves sont la nourriture des défunts. L’hypothèse extraterrestre est également régulièrement évoquée.

L’histoire des enfants verts se retrouve en Europe centrale : Olga ToKarczuc lui consacre un conte très court où elle suggère une sorte de communauté anarchiste d’enfants retournés vivre dans les arbres, à la peau légèrement verdâtre, par proximité des feuilles.

L’époque a changé de visage, mais la double découverte reste la même : deux enfants apeurés, dont l’existence mystérieuse fait réfléchir les scientifiques et créent de la légende…
Au XVIIe siècle, William Davisson, un botaniste écossais, devenu médecin particulier du roi polonais Jean II Casimir, suit le monarque dans un long voyage entre la Lituanie et l’Ukraine. Esprit scientifique et curieux, il étudie les rudesses climatiques des confins polonais et les coutumes locales. Un jour, lors d’une halte, les soldats du roi capturent deux enfants. Les deux petits ont un physique inhabituel : outre leur aspect chétif, leur peau et leurs cheveux sont légèrement verts… Le médecin va observer leurs comportements…

Comment ne pas songer à cette insurrection actuelle des enfants pour le Climat ?
L’imaginaire se déploie à des moments de faille… dans une forêt qui nourrit des Enfants verts…