« Les abeilles se comportaient de manière un peu trop sage. En tout cas, Sergueïtch ne percevait pas sous son corps la vibration habituelle. En revanche, il se sentait soudain en paix et en harmonie avec le monde qui faisait silence le temps du repos.
Il se rappelait le soin avec lequel Aysiku et Server, le fils de ses voisins, avaient installé les ruches. Ils avaient glissé des cailloux et des braches sous les deux ruches de l’extrémité pour que la surface offerte fut parfaitement horizontale. Le terrain était inégal, tout en creux et en bosses. Le jeune Tatar, qui s’était révélé un ami de Bekir, s’était montré dégourdi. Il avait demandé à s’allonger une minute. Puis avait lestement sauté à terre.
« Marrant ! avait-il dit. Je n’avais encore jamais essayé de coucher au-dessus d’un essaim d’abeilles ».
Et dès qu’il cessa de voir au-dessus de lui le noir océan céleste, où baignaient les étoiles et la lune, il sentit dans son dos et ses jambes la vibration des ruches. Il perçut sous lui le bourdonnement étouffé, comme si avoir les yeux clos lui rendait l’ouïe plus sensible.
L’air de la nuit criméenne portait en lui de chaudes senteurs d’herbes et de genièvre.
Il dormait. Il respirait à plein poumons, sa poitrine se soulevant vers le ciel étoilé à chaque inspiration, et s’abaissait lorsqu’il expirait. Dans la chaleur de la Crimée, bercé par la vibration de sa couche aux vertus thérapeutique, il rêvait. Dans son rêve, il dormait sur ses six ruches dans le jardin de la maison de Mala Starogradivka. »
Thème « Intensité du présent par la relation aux autres et au monde »