Au Moyen Âge, la forêt témoigne du combat symbolique entre ceux qui la défrichent le jour et les animaux sauvages qui l’occupent la nuit. Tandis que les lisières sont parcourues d’animaux domestiques, chèvres et vaches, mais aussi de femmes et d’enfants qui vont y chercher des fagots pour se chauffer, la forêt profonde, silva oscura (la forêt obscure) réveille pour la nuit, les peurs de chacun. Peurs de mauvaises rencontres, des brigands, des bêtes sauvages mais aussi des loups garous, ces êtres mi-hommes mi-bêtes qui peuvent accéder aux deux mondes, ceux du rêve et ceux du quotidien, dans une réalité fantasmagorique qui se dédouble, un espace en double-fond qui, dans le mémorial des arbres de la nuit, sollicite des présences d’une inquiétante étrangeté.
L’homme peut, dans le « désert-forêt de l’Occident médiéval » (selon la belle formule de l’historien Jacques le Goff) se métamorphoser à la nuit tombée en garulf (loup garou) de même que , dans le secret de son bain, la femme peut se transformer en vouivre, un serpent ailé qui se rapproche de l’ange et du dragon. La forêt, « force de l’ailleurs, de l’autre et de l’autrefois« , est le lieu utérin ou tout peut basculer, transformant l’homme au travail en un loup , devenu le modèle de l’animal social de la nuit. Terre d’asile pour les proscrits telle l’Histoire de Geneviève de Brabant nourrie par une biche, la forêt est aussi une forêt de la peur que le récits de Guillaume de Palerme et le Lai de Mélion mettent en scène.
Références du récit : Loren Gonzalez « La forêt de garulf dans la tradition narrative auMoyen âge : théâtre et matrice de l’hybridation fantastique. »
Références du tableau : Sylvie Dallet « La Nuit se fait des cheveux », (encres et acrylique, papier Moulin Richard de bas, 2017).
Mais qu’est-ce qui explique que l’homme a rangé les animaux en deux catégories ; ceux qui lui font peur et qu’ils redoutent, et ceux qui l’accompagnent et qu’il aime?
Les premiers sont pourtant comme les seconds, des peureux puisqu’à chacun son refuge ou son protecteur; l’homme ou la forêt! L’aire de cette dernière, c’est-a-dire la peur est une fonction inverse de la capacité qu’à tout être humain à aimer son voisin, à générer des idées lumineuses ou lugubres. Merci donc à Sylvie de nous rappeler que c’est pendant le Moyen-Âge, du temps de l’enfermement sur soi-même, que la peur comme la forêt avaient atteint leur plus grande proportion.