Peuples racines, peuples raisonnables

Tel est le titre de la conférence dansée de l’édition 2023 du festival des Arts foreZtiers. J’ai sélectionné des textes au fil de différentes lectures. Je souhaitais que les textes soient beaux, poétiques et engagés et que chaque extrait ait une autonomie propre, que l’on puisse le comprendre quand bien même on ne connaitrait pas l’ensemble de l’ouvrage ou du roman duquel il était extrait. Chemin faisant une trame thématique s’est créée autour de ces titres : matrice de vie, intensité du présent par la relation aux autres et au monde, la connaissance par le corps, les racines s’entremêlent, des mondes détruits et guérir le monde abîmé.

Albert David m’a accompagnée en musique. Pendant le spectacle à Chavaniac-Lafayette, nous avions enregistré des lectures pour que je puisse danser dessus, ou bien c’est Albert qui en lisait et certains textes, c’est moi qui les lisais, sans danser alors, sauf les deux que je connaissais bien par cœur.

Dans ce qui suit, je présente chaque thème. Les liens hypertextes dirigent vers les vidéos de lectures dansées réalisées ultérieurement en différents lieux.

Matrice de vie

J’ai sélectionné trois extraits du roman d’Alain Damasio intitulé Les furtifs et un extrait du roman Le partage des eaux de Alejo Carpentier. Quand j’ai découvert le roman d’Alain Damasio, je me suis dis comme une évidence que les furtifs et les furtives sont l’essence de la vie. Les trois extraits sont pris à différents moments de la lecture du roman : « blanc », « revenir » et « cacourir ». Quand dans le roman d’Alejo Carpentier j’ai lu la mère est « la base de toute religion », je me suis dis qu’il était évident de lier ces deux lectures. Peuples racines, peuples à la racine de toute vie, les furtifs, les furtives et les mères pouvaient lancer la danse.

Intensité du présent par la relation aux autres et au monde

Quand on commence à faire des recherches sur les peuples racines, il y a cette idée que nous, les animaux humains, faisons simplement partie du vivant. Une manière de le respecter, c’est d’être dans une relation amicale avec le monde. Dans le roman Les mangeurs de nuit, de Marie Charrel, il y a ce désir de « faire corps avec l’autour ». Dans Les abeilles grises, l’auteur Andreï Kourkov nous invite à tenter un jour « de coucher au-dessus d’un essaim d’abeilles ».  C’est chaque jour que l’on peut faire l’effort de sentir la relation aux autres et au monde, par exemple quand on se rend en vélo à son travail dans notre nature urbaine. La danseuse Nadia Vadori-Gauthier se donne même cet impératif éthique : « y aller quoi qu’il arrive ». Elle s’oblige à faire cet effort chaque jour quoi qu’il arrive.

La connaissance par le corps

Le corps est engagé dans le monde. Tous les sens en éveil. Marie Charrel nous invite à lire des contes du nord du Canada, du monde tsimshian, dans une terre de saumons où les hommes savent ce qu’ils leur doivent. Je trouve que les professeurs de danse, par les conseils qu’ils donnent à leur élèves, les invitent à devenir hommes-et-femmes-saumons à leurs façons. Du nord-ouest canadien, allons vers les nombreuses îles du Pacifique avec Roberto Casati dans Philosophie de l’océan et imaginons l’histoire des habitants du Pacifique. Puis arrivons en Nouvelle-Zélande avec Sacha Bourgeois-Gironde dans Etre la rivière pour découvrir comment le peuple maori a abordé cette grande terre en navigateur.

Les racines s’entremêlent

Les racines s’entremêlent parfois à des milliers de kilomètres. Par conséquent, avoir des racines, cela ne signifie pas être assigné à résidence en un lieu. Nous sommes multi racinaires. Nous les humains, nous les vivants. Dans L’arbre monde, Richard Powers nous explique l’origine du mot « book » en anglais en dégustant une papaye. Dans Les mangeurs de nuit, Marie Charrel nous invite avec grande poésie à considérer une amitié profonde tissées de racines nord canadiennes et japonaises. Il faut retenir ce mot japonais : natsukashii, qui « décrit le sentiment que réveille un souvenir soudain ». Les souvenirs forment des lits racinaires.

Des mondes qu’il faut réparer

Le vivant souffre du fait d’une partie des humains. Des mondes sont détruits. Dans le roman Cher premier amour, Zoé Valdès nous conduit au cœur de la forêt cubaine. L’extrait que j’ai choisi ici est un cri pour le droit de vivre. Tout récemment, Emilie Barrucand nous rappelle la terrible atteinte des sols, des populations et des libertés, les trois ensemble, qui touchent l’Amazonie. La dévastation de la forêt et des sols est une tragédie plurielle. Les peuples racines en souffrent, la vie en souffre.

Guérir le monde abîmé

« Pour espérer un vrai changement pour la protection de l’Amazonie et des peuples autochtones, l’Europe doit aussi se remettre en question » écrit Emilie Barrucand. Le droit des rivières oblige chaque génération à réenvisager ses responsabilités comme une dette qui s’étend sur les générations futures. Il y a des capitaines qu’il ne faut pas écouter et il faut des réservoirs de rêves, tel est le motif du roman de Mariane Rötig, La disparition des rêves. Au musée du quai Branly, il y a eu ce spectacle de danse : Guddir Guddir de Dalisa Pigram. C’est l’appel d’un oiseau, ne le manquons pas. Roberto Casati répond à l’appel en suggérant la création d’un « syndicat du plancton ». C’est très sérieux, c’est impératif.

Merci à Olga Kataeva-Rochford pour les photographies, à noter sur la photo ci-dessus où je suis de 3/4 dos que l’on peut voir deux tableaux d’Olga et un peuple migrateur sur le banc

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