Archives mensuelles : juillet 2015

Le centre du monde par Suzy Tchang

suzy

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le centre du monde.

 L’artiste peintre Suzy Tchang nous adresse ces mots qui accompagnent son magnifique tableau, créé pour les Arts ForeZtiers 2015 :

Le centre est le début de tout – c’est peut être aussi la fin.
“Tout dépend du point de vue duquel on se place,
et de l’importance qu’on accorde à la chose par rapport à l’idée que l’on s’en fait (cf. Jérome Glorie).
La légende des œuvres par les artistes fait hausser les sourcils de plus d’un.
Décrypter le Sensible afin de rendre l’œuvre ainsi expliquée accessible.
Nous y voilà !
Mon arbre, mon Centre, m’est apparu comme une apparition, une illumination presque sans prévenir, et mon travail d’artiste a consisté surtout à coller le plus possible à cette vision.
C’est le jeu du paradoxe: confronter et sentir l’écart entre deux phénomènes :
La densité du centre – la légèreté du vide.
La lumière éclatante – l’ombre presque inexistante.
La texture des branches – transparence de l’air.
Les branches épaisses aux couleurs indéfinissables – l’exactitude et la finesse d’autres.
L’expansion des branches – l’attraction circulaire.

Arrêtons de tout vouloir expliquer et laissons nous porter par nos sensations, laissons la porte ouverte à nos émotions, voilà un bon exercice accessible à qui accepte de se laisser surprendre.

“Le centre du Monde”, acrylique sur toile, pigments, blanc de Meudon.
217 X 267 cm. crée pour  les Arts Foreztiers 2015, sera présenté à Chavaniac lors du festival.

Le grand micocoulier, paysage aux souhaits par Enki Dou (et Hiroshige)

Le micocoulier (genre Celtis) est un arbre qui pousse d’Asie en Europe sous des latitudes tempérées. Sa capacité à croitre par branches à trois fourches l’associe traditionnellement aux travaux et aux outils des champs et ses fruits sont très appréciés des enfants et des oiseaux. Dès le Moyen-Âge, associé à la religion, tel en témoigne son étymologie occitane de « bois sacré », le micocoulier était planté à côté d’une chapelle, d’une église (il servait souvent de clocher) ou d’un monastère : de ce fait, il devint souvent « l’arbre à palabres » du village, garant de sa longévité.

Au XIXe siècle, de l’autre côté du monde, le graveur japonais Hiroshige met en scène l’apparition des esprits-renards de feu autour de l’arbre micocoulier (estampe 118 Cent vus d’Edo, septembre 1857). Cette information shintoïste, transmise par le Blog De paysage et paysage (article « Le renard blanc ») rédigé par un flâneur poète, Enki Dou, du nom du compagnon sauvage et sincère (n’est-ce pas la même chose ?) de Gilgamesh, dont l’épopée amicale  fonde la mythique mésopotamienne.
Le contemporain Enki Dou analyse ainsi l’estampe d’Hiroshige, replaçant le micocoulier au centre du monde des souhaits de bonheur et de prospérité, associé à l’année qui commence : « Dans cette composition nocturne, sous un ciel gris bleuâtre parsemé d’étoiles, des renards phosphorescents au-dessus desquels planaient de mystérieuses fumerolles sont réunis au pied d’un grand micocoulier (enoki) à Ôji, au nord d’Edo, près du sanctuaire shintô d’Inari, la divinité du riz. L’attention est concentrée sur ce groupe près de l’arbre au premier plan, cependant qu’à une certaine distance apparaissent plusieurs autres renards qui se dirigent vers le premier groupe mais qui ne sont encore que de petits points lumineux perdus dans le fond de l’image. L’intense luminosité autour des renards contraste fortement avec l’obscurité nocturne et donne un effet dramatique et mystérieux à la scène.

D’après la légende, les renards, messagers d’Inari et gardiens du temple, étaient dotés de pouvoirs surnaturels.  Ils étaient censés se réunir avec leurs forces magiques sous cet arbre la nuit du dernier jour de l’année pour adorer Inari afin de protéger la récolte et conjurer le mauvais sort; alors émanaient d’eux des feux follets qui brûlaient à leur côté comme autant de flambeaux alimentés par leur haleine. C’était le moment pour les paysans de formuler des vœux : du nombre de renards et de la forme de leurs fumeroles dépendait l’abondance de la récolte à venir. Les paysans se rendaient ensuite au sanctuaire d’Ōji Inari (ou Shōzoku Inari), où le dieu leur confiait différentes tâches à accomplir pendant la nouvelle année. Lorsque mourut le grand arbre de l’époque de Hiroshige, les habitants décidèrent d’en planter un nouveau vénéré de nos jours encore. »

“Tout autour d’un arbre”, le poème de Pascal Masson

“Tout autour d’un arbre, le soleil peut jouer, à colin-maillard, avec nos pensées.
Tout autour d’un arbre, la terre sait inhumer, toute feuille glabre, ou déjà séchée
Tout autour de mon arbre, j’ai laissé mes regrets, j’ai rendu les armes, et pleuré l’été.
Tout autour d’un arbre, l’âme se fait consoler, et nos larmes essuyées, par un cercle de fées.
Tout autour d’un arbre, les lunes esseulées, font des ombres bavardes, des reflets discrets.
Tout autour d’un arbre, le sol sait écouter, tout nos grands palabres, nos petits secrets.
Tout autour de mon arbre, la nuit j’ai demandé, d’être sous tes charmes, m’y abandonner.
Tout autour d’un arbre, l’amour se fait désirer, et nos âmes attisées, par un cercle de fées.
Tout autour d’un arbre, les nuages sont liées, aux chants des feuillards, à la canopée.
Tout autour d’un arbre, l’herbe se laisse caresser, par de maintes idées, généreux projets.
Tout autour de mon arbre, j’ai envie de tisser, de nouveaux départs, vers le monde entier.
Tout autour d’un arbre, le temps nous fait voyager, nos amarres libérées, par un cercle de fées.
Tout autour d’un arbre, le vent est parolier, pour les milliards, de feuilles accordées.
Tout autour d’un arbre, les parfums oubliés, reviennent en mémoires, comme une mélopée.
Tout autour de mon arbre, les musiques inventées se jouent du hasard, des formes déposées.
Tout autour d’un arbre, l’air et l’eau danse enlacés, et nos bras invités, dans le cercle des fées…     “

photo S. Dallet

Gilbert de Lafayette, de la Forêt à la Révolution, par Joseph Delteil

En 1928, l’écrivain Joseph Delteil, proche des surréalistes, publie un livre étonnant sur Lafayette qu’il décrit comme le frère spirituel de Jeanne d’Arc, en familiarité d’esprit avec Saint François d’Assise.  “L’esprit trouve son compte dans cette pensée que La Fayette est un petit Auvergnat d’automne.

La langue de Joseph Delteil, fils de bûcheron  et d’une mère “buissonnante”, offre à la lecture une somptuosité sans égale, comparable à celle de Colette, elle même enchantée de fleurs et d’odeurs de sous-bois. Par des raccourcis somptueux de l’imaginaire, l’écrivain explique l’indépendance de Lafayette par sa fréquentation assidue des bois de Chavaniac, prélude aux immensités sylvestres de l’Amérique. Pour avancer dans cette prose foisonnante en lisière de la poésie, goûtons ces quelques lignes qui préludent à l’esprit des  arts foreztiers :

“La Forêt ! il la sent toute dans ses yeux, dans ses moelles, dans son cœur. Une aise étrange s’installe en lui. Enfin, enfin, voici la patrie de son être, sa Terre promise !  Voici l’Amérique ! ça sent la fougère glacée, le soleil humide, la fiente d’oiseau. L’air chatouille la gorge, saute dans les poumons avec un bruit cru. L’espace est dense, riche, on y patauge de la main et de l’œil. (…) on y va comme l’eau coule. Tout vit, le vent aux yeux de merle, la mousse au teint de fée, le ciel aux ailes d’arbres. Et tout est jeune, tout à l’âge de Gilbert. Quelle espèce de communion y a t’il donc entre l’âme de l’homme et l’ombre des bois ?
Dorénavant, le petit Gilbert établit dans la forêt le domicile de son âme. (…) Pour la forêt, cet enfant qu’on appellera l’homme des quatre Révolutions fit sa première révolution”.


 A suivre…