Un article de Céline Mounier.
L’été 2019, j’ai lu Les furtifs d’Alain Damasio. J’ai beaucoup aimé ce roman de science-fiction. J’ai été captivée par le personnage de Lorca, l’un des personnages principaux du roman. Dans ce roman, il y a des sons, de la musique, c’est un roman musical. D’ailleurs, un disque associé au roman est sorti avec à la guitare Yan Péchin. Peu de temps après avoir lu le roman, j’ai eu la chance de voir sur scène Alain Damasio et Yan Péchin. Voici un extrait des deux artistes sur YouTube. Une occasion de retrouver Lorca et d’aimer encore plus les furtives. Oui, ainsi au féminin.
Lorca est sociologue dans un laboratoire qui étudie les furtifs. Les furtifs sont comme des sortes d’animaux ou des forces d’énergie vivante, ils sont entre les deux. Géographiquement, dans tout le roman, on se trouve dans le sud de la France sur les bords du Rhône, dans une ville et sur les îles sauvages et pleines d’alluvions que charrie le fleuve.
Dans une bibliothèque, Lorca se concentre sur l’empreinte musicale. « Quelle empreinte ? Une forme de polyphonie rythmique des échanges, faite de salves et de contrepoints, scandée par des syncopes, des cris de matière, des petits pas, des appels, nappée du bois qui mute. Un jeu presque, qui s’en dégageait à force de lier par les oreilles ce qui semblait d’abord parfaitement et délibérément disjoint. Ça faisait penser à un jazz très expérimental, voire à de la musique concrète, imprévisible bien sûr, sans cadence ni temps pulsé, mais dont l’unité cependant finissait par être sensible. Sensible grâce à la texture très proche de la plupart des sons qui tous réfractaient la matière dominante du lieu où les furtifs constamment puisaient pour se transformer. Dans cette bibliothèque par exemple, le son texturait le papier, le cuir des reliures et le bois moderne des étagères, qui ne pouvaient qu’être le cœur des métamorphoses physiques. » (page 105). Il écoute les furtifs.
Le frisson est le souffle du furtif. « Et ce frisson ne prend corps et force qu’en se confrontant au monde concret. Il en a besoin, il y plonge et il y vibre » (page 328). Il y a là une ritournelle vitale. Le furtif est élan de vie. « A l’image du son, le furtif ne connaît pas d’état arrêté. L’imprévu est sa nature. Tous deux, furtif et son, relèvent de la transformation perpétuelle, impossible à bloquer, à fixer. En reconstitution permanente, ils sont l’autopoïèse dans sa plus pure expression, à savoir l’autofabrication agile de soi. » Ils sont du son et comme en danse permanente, leur empreinte laisse comme des traces qui ressemblent à des tags. Les furtifs écrivent des glyphes, des sortes de tags.

Lorca et son équipe vont à la rencontre d’une communauté de femmes aveugles dans une grotte. Elles expliquent le fonctionnement de leur cerveau, ce qui, par analogie pourra permettre de comprendre les furtifs : « Notre cerveau neuronal et nerveux est davantage disponible, disons, à des phénomènes physiques comme les ondes, l’accumulation de chaleur, l’humidité de l’air, un frémissement de tension… Par exemple, je peux sentir votre buée se dilater quand vous parlez, puis se dissiper doucement. Les furtives ont un impact spatial éminemment discret, hormis qu’elles bougent et se transforment sans cesse, si bien qu’une aura de présence se dégage malgré elles. » (page 223). Les furtifs seraient des furtives.
Elles seraient à la source du vivant. Lorca s’entretient quelque temps plus tard avec un scientifique : « Supposons que l’ADN ne soit pas l’essence du vivant. Mais juste un support de codage et d’expression de gènes. Et qu’il existe, plus profondément, autre chose qui informe les primes pulsations de la vie. Mon intuition est que le vivant est fondé sur des pulsations. Mon intuition est que le vivant est fondé que des partitions. Dès le stade la cellule. Des partitions vibratoires. J’entends par là : des séquences rythmiques de vibrations, ce que vous appelez vous le frisson mais que je conçois comme des modes d’agitation moléculaire. » (page 402).
En bon ethnologue impliqué, Lorca aime son milieu. On retrouve de l’énergie de l’enquête ethnographique du film L’étreinte du Serpent quand le personnage Karamakate accepte de chercher la yakruna qui guérit et permettrait d’apprendre à rêver. Lorca est comme emporté par une énergie digne de la musique du Sacre du Printemps de Stravinsky. Côtoyer les furtifs le rend de plus en plus souple, de plus en plus alerte. En même temps, il porte un regard critique sur la société des années 2040 avec ses « technococons » et autres « intechtes » qui façonnent un certain rapport à la cité, aux autres, à la consommation, aux loisirs et à l’autorité. Dans la société d’alors, chacun est replié sur soi et l’ordre économique gouverne l’ordre politique. Il épouse jusqu’à l’engagement total les causes de mouvements contestataires qu’il observe dans la société d’alors, froide et technicisée, avec des taxiles et ses vendiants.
Lorca découvre que des enfants peuvent muter furtifs. Le temps passe, Lorca devient de plus en plus furtif. Et il se sent bien mieux furtif. Recouvrer de la liberté, c’est devenir furtif.
Il part sur une île sur le Rhône, vit alors au sein d’une communauté dans la nature, « l’eau est partout. Elle glisse autour de l’île sans bruit, nappe à motif de ciel pour qui y jette un regard de surface. Mais si on descend dans la sensation, surtout la nuit, comme là, le volume en mouvement devient palpable ; presque angoissant. Tu ressens la masse pleine, et épaisse, et faussement lisse, qui à tout moment charrie des milliers de mètres cubes d’alluvions et d’organismes, de neige fondue et de pluies rassemblées. » (page 183).
Tout autant que la furtivité, l’animalité, la joie des corps qui se meuvent avec liberté. Lorca est emporté par des mouvements de vie, par tout ce qui échappe aux « routines du confort mort » (page 610), au « rapport de domination technolibéral » (page 618). Sentir la tension d’une tyrolienne entre des immeubles, sentir l’air des hauteurs de la ville, le corps qui est fluide, alerte et agile. « Il a cette fibre en lui de la fuite, cet instinct d’échapper aux pouvoirs, à la vision. » (page. 294)
Le sentiment sublime de décoller du sol. « Sa vivacité avait quelque chose de surprenant. Le furtif a du végétal, de l’animal. Une vivante inventivité de la voix. « Que c’était beau de l’entendre jongler avec la vitesse des éléments, le dénivelé et le moelleux d’un bois, la lenteur subite de l’écoute, tendue, et l’accélération chapechutée de ses pattes sur un lapiaz trop exposé, qu’elle griffait çà et là, à la façon d’une truelle sur un plâtre à lisser. » (page 481).
Je raconte maintenant quelles cordes en moi ce personnage touche. Je suis sociologue et j’ai toujours considéré qu’il faut aimer les univers que l’on étudie, que ceci n’est pas un vilain défaut que viendrait rappeler à l’ordre la recherche de la sacro-sainte objectivité. Je suis sociologue employée dans une grande entreprise et je dirais que je suis fière de la manière dont j’y exerce mon métier. Mon maître en sociologie, Renaud Sainsaulieu, me disait un jour que les sociologues sont des gens en colère contre la société, en recherche d’une société meilleure ou de bouts de société meilleure sur la base d’une analyse fine de ce que la société fait de mal à des personnes ou à des énergies, ou ce qu’elle ne fait pas assez pour libérer des énergies créatrices.
Souvent, j’observe et je suis partie prenante à la fois des lieux que j’étudie et des projets que des collectifs portent. Aujourd’hui, je me sens bien dans des espaces où on danse, où on chante libres dans la ville, où on imagine pouvoir planter des arbres, des forêts urbaines, où la vivacité se déploie avec douceurs et couleurs.

Le personnage de Lorca représente alors un idéal, je deviens envieuse de sa capacité à devenir furtif et c’est là que la fiction est forte : elle donne terriblement envie de vivre sur les îles qu’il y a sur le Rhône, songeons à l’île en face d’Avignon, elle donne envie de créer des tyroliennes entre les bâtiments hauts des villes. Elle ravive ce désir que j’avais écrit dans un poème il y a longtemps. Depuis cette lecture, je photographie la ville différemment, je me sens prête à passer d’une vie cérébrale qui a longtemps été la mienne à un engagement sur un projet de permaculture, j’ai osé créer un spectacle au Festival des Arts foreZtiers !




En parallèle, Vimlendu organise des ateliers de recyclage. Il a aussi lancé une application Million Kitchen qui permet à des femmes de livrer des repas. La « ville comestible » peut devenir havre de résonance. De nouveaux espaces s’ouvrent alors pour un être-au-monde plus doux. Au moment où j’écris ces lignes il faut songer qu’à Delhi, quand on regarde la météo sur son téléphone portable, on y lit « very unhealthy air ». Ces nouveaux espaces urbains sont vitaux, des morceaux de forêts qui mitent la ville. Ces initiatives créent du souffle, de l’ombre, de quoi manger et imaginer des romances à l’ombre de pommiers. Je songe aussi aux bâoli, les puits à niveaux, dont l’usage a été abandonné au fil du temps, après l’arrivée des Britanniques. Ils permettaient de récupérer les pluies des moussons. Le processus de dépossession de la maîtrise de l’eau est raconté par Rana Dasgupta dans Delhi Capitale. Nous avons été submergés de bonheur par la beauté des bâolis qui demeurent intacts. Pourquoi ils ne sont pas réutilisés, réinventés, c’est une énigme.
A Bengalore, Sundar Padmanabhan a été subjugué par la méthode Miyawaki. 

La nature fait preuve d’individuation. A cet égard, lisons Célébrations de la nature de John Muir, un ouvrage découvert grâce au libraire du café-lecture associatif Grenouille de Langeac. Le premier chapitre s’intitule Laine sauvage. Nous pouvons y lire qu’entre animaux sauvages, non encore domestiqués, il existe une « autonomie suffisante pour leur permettre de répondre aux desseins de l’individualité la plus marquée ». Et d’ajouter : « S’il n’y avait la mise en oeuvre du souci d’individuation dont la Nature fait preuve, l’univers serait emmêlé, feutré contre une toison de laine domestique. » Il y a individualités et équilibres.
‘est rare. Il y a deux ans, il y avait une plus grande osmose entre ces trois éléments, disons que les trois étaient présents quasiment à égalité dans la programmation. Les conférences avaient lieu dans le Conservatoire botanique national du Massif Central et dans la salle des fêtes. Cette année, le temps des conférences s’est concentré sur une après-midi dans la seule salle des fêtes. Théophile dit avoir apprécié cette osmose plus grande d’il y a deux ans entre conférences et expressions artistiques. Il avait alors quatorze ans. C’est intéressant qu’un jeune de cet âge-là tienne ce propos.
Olga est en résidence et dessine tous les jours, dans l’atelier de Sylvie comme sur les marches de l’église. Le fait qu’Olga se sente en résidence fait se poser des questions à Sylvie. Cela conforte en elle l’idée de transformer la ferme Saint Eloi en un lieu de résidence créative. D’ailleurs le fait qu’on y soit bien autant pour regarder des oeuvres, échanger avec les artistes que pour y écouter un concert plaide pour prendre cette direction.
Le public est aussi celui des enfants venus du centre de loisirs de Paulhaguet et qui ont contribué à faire que de drôles de pieuvres viennent aux branches d’un arbuste.
Il y a de l’entraide, constitutive de la philosophie de l’événement : Gilbert, ancien directeur de musée, en est la cheville ouvrière, accompagnant les artistes de sa bienveillance et de son expérience ; chacun doit s’y mettre en fonction des espaces et des affinités des œuvres et des démarches. Albert et François aident Danielle. Danielle aide Katia. Véro place les éclairages d’Isabelle, après avoir conçu la communication du festival. Chacun s’aide dans les bricolages requis, dans une concertation nécessaire. Il en va de même pour nos publications ici et sur Facebook, nous sommes en relation quasi quotidiennement avec Sylvie. Il y a une attention forte pour des performances et la fragilité qui est son alliée et son corollaire. Il y a les deux singes de Wei sur un fil. L’un deux traduit le destin d’un monsieur chinois maintenant à la retraite. Il y a les dromadaires de Qin Ni qui racontent la dureté qu’il y a à perdre son chez-soi : le caractère suranné de la volonté de créer un musée du chez-soi. Il y a les fragilités de la voix. Les fragilités comprises ensemble tissent de la force. L’entraide libertaire déjà décrite par le naturaliste Darwin est aussi pratiquée par les peuples premiers, attentifs aux aléas du monde.
Sylvie insiste pour dire que son rôle n’est pas d’être agent d’artistes – d’autres qu’elle remplissent très bien ce rôle – mais qu’il est nécessaire, en tant que fonctionnaire de l’enseignement supérieur, de faire oeuvre publique dans la qualité et la transmission.










Nous admirons ensuite la force des céramiques en raku de 





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Un projet sensationnel, porté par la Galerie
