Tous les articles par Sylvie Dallet

Un poème de Pierre de Ronsard

“Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?”

(Pierre de Ronsard Contre les bûcherons de la forêt de Gastine)

Poème choisi par Luc Dellisse, écrivain

L’arbre matrimoine

« En France, les beautés de la Nature ont suscité des actions pionnières de valorisation depuis le XIXème siècle, issues du courant romantique. Celui-ci signalait les liens entre la Nature et la Création artistique : c’est à partir des campagnes de presse et des adresses parlementaires d’artistes et de romanciers tels que Georges Sand, Victor Hugo ou Chopin que la Forêt de Fontainebleau a été reconnue comme « réserve artistique », suscitant en chaîne à la fois des implantations artistiques continues (les peintres de Barbizon pour exemple) et une œuvre de balisage exemplaire des chemins et une exceptionnel travail de bénévoles amoureux du site. Le respect public leur a conféré le nom de Sylvains : les Sylvains Denecourt et Colinet de la fin du XIXème siècle sont les figures de cette découverte « créatrice » des beautés de la forêt, la préservant des coupes sombres des forestiers et du saccage des promoteurs.

Ce modèle « participatif » (avant la crue du mot) a également permis une réflexion nationale dès 1903 puis une législation internationale sur la protection des espaces « d’inspiration » : les Parcs Naturels Régionaux sont issus de cette réflexion de même que les classements au patrimoine international de l’UNESCO. À ce jour, le domaine forestier de Fontainebleau, premier monument de France en terme de fréquentation, attire dix-sept millions de promeneurs par an, si bien que la SNCF organise le dimanche matin, des arrêts de train en pleine forêt, permettant aux familles et aux randonneurs d’éviter la ville. (…)

Naguère, la pauvreté irlandaise se mesurait à la présence d’un arbre fruitier devant la maison, aujourd’hui des propriétaires de riches villas méditerranéennes, rachètent pour les replanter, des oliviers centenaires qui orneront leurs jardins. Si au XXème siècle, les Américains fortunés ont fait transporter des monuments entiers de pays pillés en Californie, au XXIème siècle, c’est l’arbre vénérable, symbole d’une identité ancienne, qui suscite des convoitises sociales. La valeur des monuments est en train de varier selon les paysages. » Sylvie Dallet (in Ressources de la Créativité, éditions L’Harmattan, 2015).

Peut être un jour, assisterons nous à des convoitises telles que des arbres seront dérobés comme des tableaux ou des fruits à l’étalage ?  L’énorme chêne-liège du monastère libanais de Beit Mery porte ses 800 ans d’âge. Poussé sur le rocher dont il broie les pierres comme digérées par la sève, il a survécu à tous les affrontements humains. Un arbre incunable, un arbre retable, un arbre bijou, un arbre matrimoine…

Sylvie Dallet

Le PREMIER ARBRE (poème de Jules Supervielle – Montevideo, Uruguay, 1884 – Paris 1960)

C’était lors de mon premier arbre,
J’avais beau le sentir en moi
Il me surprit par tant de branches,
Il était arbre mille fois.
Moi qui suis tout ce que je forme
Je ne me savais pas feuillu,
Voilà que je donnais de l’ombre
Et j’avais des oiseaux dessus.
Je cachais ma sève divine
Dans ce fût qui montant au ciel
Mais j’étais pris par la racine
Comme à un piège naturel.
C’était lors de mon premier arbre,
L’homme s’assit sous le feuillage
Si tendre d’être si nouveau.
Etait-ce un chêne ou bien un orme
C’est loin et je ne sais pas trop
Mais je sais bien qu’il plut à l’homme
Qui s’endormit les yeux en joie
Pour y rêver d’un petit bois.
Alors au sortir de son somme
D’un coup je fis une forêt
De grands arbres nés centenaires
Et trois cents cerfs la parcouraient
Avec leurs biches déjà mères.
Ils croyaient depuis très longtemps
L’habiter et la reconnaître
Les six-cors et leurs bramements
Non loin de faons encore à naître.
Ils avaient, à peine jaillis,
Plus qu’il ne fallait d’espérance
Ils étaient lourds de souvenirs
Qui dans les miens prenaient naissance.
D’un coup je fis chênes, sapins,
Beaucoup d’écureuils pour les cimes,
L’enfant qui cherche son chemin
Et le bûcheron qui l’indique,
Je cachai de mon mieux le ciel
Pour ses distances malaisées
Mais je le redonnai pour tel
Dans les oiseaux et la rosée. »

TROGNES et ENTES

Peux t’on s’interroger sur le degré de liberté d’une nation en contemplant ses arbres ? Y a t’il une relation entre la taille des arbres domestiques et la préservation des arbres fauves, ceux qui croissent dans les forêts sauvages ? Doit-on mesurer la taille de la végétation à l’exercice de la citoyenneté ?

Je me suis posée cette question à plusieurs reprises, après qu’une amie m’aie fait remarquer la tradition française de taille des arbres ras, ne laissant que des moignons, les trognes, ou des créations mimétiques, dont l’arrondi figure des animaux domestiques, canards, lapins, boules topiaires. Ma réflexion se poursuit, hantée par cette manie française qui arrache les arbres plantés par le passé pour protéger le passant de l’ombre. Désormais, ces arbres vénérables, platanes pour la plupart, sont considérés comme de dangereux prédateurs : leurs racines culbutent les passants fragiles tandis que leurs troncs stoppent définitivement les voitures dont les freins lâchent.

L’enfant ne peut plus jouer, ni l’adulte se rafraichir. La majesté des platanes se raréfie sur les rues anciennes. À leur place, quelques jeunes pousses tutorés rappellent que la nature a besoin de la paternité humaine…

Un récent voyage en Angleterre, dans le Wiltshire, offre matière a réflexion entre Histoire et environnement. La comparaison entre la France et l’Angleterre, pays proches, mais séparés d’un bras, apporte ses réponses. En Angleterre la Forest se tapisse de grands arbres aux longues branches, dont les ramures imposantes bordent les routes les plus fréquentées. Je savais que le modèle du Jardin Anglais reprenait de la Nature son parcours sinueux. Ce que j’ignorais, et cela saute littéralement aux yeux, c’est la présence dans la forêt communale dans une sauvagerie qui suggère toutes les fantasmagories. Point d’orgue : l’arbre d’Oxford qui, de la cour de l’Université, a inspiré la figure des Entes, ces arbres fées de Tolkien.

Trognes nourricières, topiaires velus ou arbres pensifs, échevelés et magnifiques ? La pensée anglaise laisse coexister chacun dans sa démesure singulière, dans une mosaïque de temps et de terroirs. La pensée française élague en son jardin, gardant dans les cercles des musées quelques grands témoins protégés. L’analogue démocratique se laisse malicieusement deviner.