En 1931, Henri Pourrat décrit au travers du récit de Gaspard des Montagnes, les bois noirs du Forez :
« Elles n’ont rien de trop gai, les forêts qui s’en vont sur ces plateaux, du côté de la Chaise-Dieu. Des sapins, des sapins, des sapins, jamais une âme. Les chemins sablonneux s’enfoncent de salle obscure en salle obscure, parmi la mousse et la fougère, sous ces grandes rames balançantes. Les grappes du sureau rouge tirent l’œil, ou bien quelque pied de digitale pourprée. Il y a des endroits où le soleil semble n’avoir point percé depuis des mondes d’années : c’est sombre, c’est noir, c’est la mort. Une forêt comme celle de la complainte de sainte Geneviève de Brabant, où des ermites peuvent vivre solitaires et qu’on imagine pleine de loups, de renards, de blaireaux. A dix pas, sait-on ce qui se ce cache derrière ces fûts gercés des arbres où la résine met des traînées de suif ? Tout remue, mais remue à peine. Tout est silence, mais un silence traversé de vingt bruits menus. Une belette qui se sauve, un souffle de vent dans la feuille des houx, une fontaine qui s’égoutte derrière la roche. Et lorsque le sentier monte en tournant sous le couvert, à travers les masses de pierres détachées, dans le désordre des sapins penchés sur leurs nœuds de racines, on croirait aller vers des cavernes de faux-monnayeurs et de brigands. »
Et le conteur reprend : « C’est un récit du pays obscur, la-haut, sous son peuple de sapins, à peine éclairé à l’entrée d’un chemin de mousse par quelque grande fleur rouge : c’est une rapsodie d’un temps plus nocturne encore, avec ses cavernes, ses garous son sang, ses carnages ; c’est, venu sur un souffle d’air, le souvenir d’un ancien monde ; c’est un secret.
Histoire fidèle de la Bête en Gévaudan
Henri Pourrat, 1946