“Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?”
(Pierre de Ronsard Contre les bûcherons de la forêt de Gastine)
« En France, les beautés de la Nature ont suscité des actions pionnières de valorisation depuis le XIXème siècle, issues du courant romantique. Celui-ci signalait les liens entre la Nature et la Création artistique : c’est à partir des campagnes de presse et des adresses parlementaires d’artistes et de romanciers tels que Georges Sand, Victor Hugo ou Chopin que la Forêt de Fontainebleau a été reconnue comme « réserve artistique », suscitant en chaîne à la fois des implantations artistiques continues (les peintres de Barbizon pour exemple) et une œuvre de balisage exemplaire des chemins et une exceptionnel travail de bénévoles amoureux du site. Le respect public leur a conféré le nom de Sylvains : les Sylvains Denecourt et Colinet de la fin du XIXème siècle sont les figures de cette découverte « créatrice » des beautés de la forêt, la préservant des coupes sombres des forestiers et du saccage des promoteurs.
Ce modèle « participatif » (avant la crue du mot) a également permis une réflexion nationale dès 1903 puis une législation internationale sur la protection des espaces « d’inspiration » : les Parcs Naturels Régionaux sont issus de cette réflexion de même que les classements au patrimoine international de l’UNESCO. À ce jour, le domaine forestier de Fontainebleau, premier monument de France en terme de fréquentation, attire dix-sept millions de promeneurs par an, si bien que la SNCF organise le dimanche matin, des arrêts de train en pleine forêt, permettant aux familles et aux randonneurs d’éviter la ville. (…)
Naguère, la pauvreté irlandaise se mesurait à la présence d’un arbre fruitier devant la maison, aujourd’hui des propriétaires de riches villas méditerranéennes, rachètent pour les replanter, des oliviers centenaires qui orneront leurs jardins. Si au XXème siècle, les Américains fortunés ont fait transporter des monuments entiers de pays pillés en Californie, au XXIème siècle, c’est l’arbre vénérable, symbole d’une identité ancienne, qui suscite des convoitises sociales. La valeur des monuments est en train de varier selon les paysages. » Sylvie Dallet (in Ressources de la Créativité, éditions L’Harmattan, 2015).
Peut être un jour, assisterons nous à des convoitises telles que des arbres seront dérobés comme des tableaux ou des fruits à l’étalage ? L’énorme chêne-liège du monastère libanais de Beit Mery porte ses 800 ans d’âge. Poussé sur le rocher dont il broie les pierres comme digérées par la sève, il a survécu à tous les affrontements humains. Un arbre incunable, un arbre retable, un arbre bijou, un arbre matrimoine…
Le thème choisi pour la quatrième édition des Arts ForeZtiers 2015 (28/31 août), L’Arbre du Milieu du Monde, en appelle à l’historisation qui opère dans la prospective du livre et de la lecture, dès lors qu’il s’agit de comprendre les actuelles et à venir mutations des dispositifs et des pratiques de lecture, à la fois, à la lumière de leurs passés réels, et, de leurs racines mythiques, dès lors que nous nous concevons comme « animal lecteur », membres d’une « espèce fabulatrice », et ne cessons de questionner la pertinence de l’Hypothèse Sapir-Whorf qui postule que la langue avec laquelle nous pensons et lisons, nous écrivons et communiquons, donnerait forme à notre expérience du monde.
La lecture que nous ferions des mondes imaginaires, du monde particulier de la forêt, et d’une contemporanéité plus ou moins partagée, cette lecture singulière nous inscrirait en retour dans un effet de réel, dont seules, peut-être, des stratégies de lecture dé-li(r)antes pourraient nous délier.
Ainsi, le symbolisme de l’Arbre du Milieu oriente naturellement dans un premier temps notre réflexion vers le Pardès de la kabbale. Paradis dissimulé, jardin, verger, vignoble peut-être (d’où découle le mot « page »), un champ (pensons aux écritures boustrophédon, au rongo-rongo…) dont l’entretien, dans toute sa polysémie, nous ferait progresser dans notre lecture des mystères du monde.
Le bien connu sonnet « Correspondances » de Baudelaire, avec son vers : « L’homme y passe à travers des forêts de symboles », nous transporte dans ces bois d’où la lecture un jour se mit en marche aux côtés de nos ancêtres (se reporter aux étymologies latine et grecque de « livre » : liber, biblos…).
En quoi alors cette « forêt de symboles », et, par extension, forêt de signes, forêt de lettres, pourrait-elle nous inciter à la recherche de sentiers de traverse, de lectures buissonnières ?
Si nous suivions ce chemin, alors l’expérience devrait être partagée et s’enrichir de celles de lectrices et de lecteurs, non plus de livres seulement, mais de forêts également.
L’on compare généralement certaines grandes constructions romanesques à des cathédrales, parfois à des symphonies, et cela souvent implicitement, c’est-à-dire sans que ce rapport mystérieux ne soit clairement formulé. Et si maintenant nous les comparions à des forêts ? Si l’on y faisait émerger, de lectures singulières, les invisibles forêts qu’elles renferment peut-être, comme des cités, je pense notamment aux villes invisibles d’Italo Calvino ?
D’où ces deux interrogations : y aurait-il des forêts invisibles dans des livres, et, y aurait-il des livres invisibles dans des forêts, ou, plus exactement, des livres seraient-ils des forêts, et vice-versa ?
Un autre chemin serait peut-être de rechercher la trace de cet Arbre du Milieu et du mille-feuilles des possibles lectures, dans le célèbre roman de Kenzaburo Oe, « M/T et l’Histoire des merveilles de la forêt »… A suivre…
Lorenzo Soccavo, chercheur en prospective du livre et de la lecture.
il est mort des mauvais traitements
probablement chimiques de mon voisin exploitant agricole pas agri-cool
je l’ai peint de la couleur la plus artificielle qui soit
pour dire que sa fin prématurée l’était tout autant
et puis parce que ça met le blue
et puis parce que j’aime le bleu et le dessin qu’il fait maintenant en contraste en toute saison
C’était lors de mon premier arbre,
J’avais beau le sentir en moi
Il me surprit par tant de branches,
Il était arbre mille fois.
Moi qui suis tout ce que je forme
Je ne me savais pas feuillu,
Voilà que je donnais de l’ombre
Et j’avais des oiseaux dessus.
Je cachais ma sève divine
Dans ce fût qui montant au ciel
Mais j’étais pris par la racine
Comme à un piège naturel.
C’était lors de mon premier arbre,
L’homme s’assit sous le feuillage
Si tendre d’être si nouveau.
Etait-ce un chêne ou bien un orme
C’est loin et je ne sais pas trop
Mais je sais bien qu’il plut à l’homme
Qui s’endormit les yeux en joie
Pour y rêver d’un petit bois.
Alors au sortir de son somme
D’un coup je fis une forêt
De grands arbres nés centenaires
Et trois cents cerfs la parcouraient
Avec leurs biches déjà mères.
Ils croyaient depuis très longtemps
L’habiter et la reconnaître
Les six-cors et leurs bramements
Non loin de faons encore à naître.
Ils avaient, à peine jaillis,
Plus qu’il ne fallait d’espérance
Ils étaient lourds de souvenirs
Qui dans les miens prenaient naissance.
D’un coup je fis chênes, sapins,
Beaucoup d’écureuils pour les cimes,
L’enfant qui cherche son chemin
Et le bûcheron qui l’indique,
Je cachai de mon mieux le ciel
Pour ses distances malaisées
Mais je le redonnai pour tel
Dans les oiseaux et la rosée. »
Peux t’on s’interroger sur le degré de liberté d’une nation en contemplant ses arbres ? Y a t’il une relation entre la taille des arbres domestiques et la préservation des arbres fauves, ceux qui croissent dans les forêts sauvages ? Doit-on mesurer la taille de la végétation à l’exercice de la citoyenneté ?
Je me suis posée cette question à plusieurs reprises, après qu’une amie m’aie fait remarquer la tradition française de taille des arbres ras, ne laissant que des moignons, les trognes, ou des créations mimétiques, dont l’arrondi figure des animaux domestiques, canards, lapins, boules topiaires. Ma réflexion se poursuit, hantée par cette manie française qui arrache les arbres plantés par le passé pour protéger le passant de l’ombre. Désormais, ces arbres vénérables, platanes pour la plupart, sont considérés comme de dangereux prédateurs : leurs racines culbutent les passants fragiles tandis que leurs troncs stoppent définitivement les voitures dont les freins lâchent.
L’enfant ne peut plus jouer, ni l’adulte se rafraichir. La majesté des platanes se raréfie sur les rues anciennes. À leur place, quelques jeunes pousses tutorés rappellent que la nature a besoin de la paternité humaine…
Un récent voyage en Angleterre, dans le Wiltshire, offre matière a réflexion entre Histoire et environnement. La comparaison entre la France et l’Angleterre, pays proches, mais séparés d’un bras, apporte ses réponses. En Angleterre la Forest se tapisse de grands arbres aux longues branches, dont les ramures imposantes bordent les routes les plus fréquentées. Je savais que le modèle du Jardin Anglais reprenait de la Nature son parcours sinueux. Ce que j’ignorais, et cela saute littéralement aux yeux, c’est la présence dans la forêt communale dans une sauvagerie qui suggère toutes les fantasmagories. Point d’orgue : l’arbre d’Oxford qui, de la cour de l’Université, a inspiré la figure des Entes, ces arbres fées de Tolkien.
Trognes nourricières, topiaires velus ou arbres pensifs, échevelés et magnifiques ? La pensée anglaise laisse coexister chacun dans sa démesure singulière, dans une mosaïque de temps et de terroirs. La pensée française élague en son jardin, gardant dans les cercles des musées quelques grands témoins protégés. L’analogue démocratique se laisse malicieusement deviner.
La nature pour les artistes est un sujet de contemplation et l’occasion d’élaborer une pensée personnelle. Mais aujourd’hui, il faut me semble-t-il, y ajouter une réflexion sur les stratégies de résistance et de guérison.
Que pouvons-nous faire devant la perte du sens et les ravages de la financiarisation ?
Devant le danger, la nature crée ses solutions de survie.
La création artistique permet d’expérimenter certaines procédures qu’emploie la nature pour se régénérer. Elle élabore petit à petit une conscience qui ne fait pas que réfléchir la nature, elle la pénètre de l’intérieur pour la comprendre et s’en faire une force alliée.
Ma série des Fougères est une tentative de cet acabit. Cette série de fusains et de peintures est une méditation sur la création inaugurée il y a trente ans, qui continue à interroger la formation du visible et le renforcement du vivant. Cela se traduit par une revitalisation de la matière, une régénération de la forme et de l’espace.
Quand le chaos hypnotise les sens et immobilise l’esprit, rester simple. Malgré la complexité, attendre de percevoir la géométrie des choses. À travers les enchevêtrements, retrouver les traces de flux. Court-circuiter l’incompréhensible en s’installant dans le non savoir. Vivre le geste pictural, sentir la plante. Être, comprendre plutôt que représenter.
La vitalité émerge alors par la touche pulsive, le sens de la forme. La matière respire dans l’interpénétration des matériaux hétérogènes. Au hasard des rencontres, la couleur et la matière ordonnent le passage mystérieux du visible. Des multiples couches de ce chaos sensible émerge le trajet lisible et puissant de la sève.
Pour appréhender le désordre des Fougères j’utilise les fractales de Mandelbrot. La fractale est une forme complexe, qui se déploie à l’identique du tout petit au plus grand. Son arborescence passe avec aisance d’une échelle à l’autre, de la terminaison végétale à la feuille, de la branche à la plante sans autre transformation que le développement infini de l’arborescence.
Ce développement majestueux n’est-il pas la source d’une régénération infinie ?
ARBOREUSEMENT est un « concept » lié à ma pratique d’enseignement autour d’une Performance ou Danse des Arbres. Dans la Danse ou Bio-Danse des Arbres les participants des ateliers des arbres apprennent les sons liés aux différents arbres; une sorte de langage des arbres. Ce langage est relié aux gestes et mouvements corporels en correspondance avec chaque arbre.
Ainsi une sorte de Danse d’Ancrage à la fois un Yoga Dynamique des Arbres et/ou un Taï-Chi des Arbres, dont les mouvements sont toniques et d’autres plus en lenteur et en profondeur. Le SHINAN est ainsi mis en danse comme une forme pratique de développer une « conscience verte » entre les humains et les arbres et également de pratiquer une forme thérapeutique envers le développement durable et personnel. ARBOReusement est aussi une forme d’ARBOR-ESSENCE: gestes et mouvements entre les pieds-orteils-chevilles et jambes (racines) en passant par le tronc (région pelvienne) jusqu’au bras-poitrine-dos-coup et tête (la cime des arbres ou la canopée).