En 1897, Anton Tchekhov, nouvelliste, dramaturge et médecin réputé, écrit Oncle Vania qui demeure une des plus belles œuvres du théâtre russe du XIXe siècle : dans le dialogue qui suit, le médecin Astrov exprime son amour des arbres et son dévouement à soigner les hommes et les bois.
Elena : Toujours les bois, les bois ! J’imagine que c’est monotone.
Sonia : Non c’est absolument passionnant (…) il se met en quatre pour que l’on ne détruise pas les vieux arbres (…) il dit que les bois ornent la terre, apprennent à l’homme à comprendre le beau, et lui inspirent une humeur élevée. Les forêts adoucissent la rigueur du climat. Dans les pays ou le climat est doux, on dépense moins de force pour lutter avec la nature et l’homme est plus doux, plus tendre (…) Chez eux fleurissent la science, l’art. Leur philosophie n’et pas morose. Leurs rapports avec les femmes sont pleins de noblesse.
Voiniski (riant) : Bravo, bravo, tout cela est charmant, mais peu convaincant. Aussi mon ami, permets moi de chauffer mes cheminées au bois et de construire des hangars en bois.
Astrov : Tu peux chauffer tes cheminées avec de la tourbe et construire tes hangars en pierre. Enfin, coupe les bois par nécessité ; mais pourquoi les détruire ? Les forêts russes craquent sous la hache. Des milliards d’arbres périssent. On détruit la retraite des bêtes et des oiseaux. Les rivières ont moins d’eau et se dessèchent. De magnifiques paysages disparaissent sans retour. Tout cela parce que l’homme paresseux n’a pas le courage de se baisser pour tirer de la terre son chauffage. (…) Il faut être un barbare insensé pour brûler cette beauté dans la cheminée, détruire ce que nous ne pouvons pas créer. (…) Il y a de moins en moins de forêts. Le gibier a disparu. Le climat est gâté et la terre devient de plus en plus pauvre et laide (…) Et… tiens… c’est peut être une manie, mais quand je passe devant des forêts de paysans que j’ai sauvées de l’abattage, ou quand j’entends bruire un jeune bois que j’ai planté de mes mains, j’ai conscience que le climat est un peu en mon pouvoir, et que si, dans mille ans, l’homme est heureux, j’en serais un peu la cause. Quand j’ai planté un bouleau et le vois verdir et se balancer au vent, mon âme s’emplit d’orgueil, et… J’ai l’honneur de vous saluer ».