« Mon chêne, je te retrouve sous le soleil torride
Mon chêne lacéré par les crocs des chenilles
Qui me rend mon pays échappant sous le masque
Insulte maculée des fleurs à sa ligne aride
Subtil désert de volupté brûlante
Malgré le fouet bruissant des mouches acharnées
En brassées piétinant le silence de buse
Hier le vent du nord me poussait hors les cimes
Perdue étais-je dans le rire d’une terre
À sa vérité âpre,
Ingrate à l’étranger
Mon chêne se souvient d’une joie détruite
Mon chêne baise mes mains de ses feuilles meurtries
Avec lui fidèle, je retourne à moi-même »
Un poème de Pierre Ménanteau, proposé par Elizabeth Dallet
Archives de catégorie : Non classé
Le Karagatchi kazakh, photographié par Lagan
Autour de l’arbre-ancêtre du Kazakhstan, les arbres voisins sont courbés comme en révérence. Une légende racontée au peintre Lagan, rapporte que ce karagatch (un sycomore) est né du bâton qu’un sage a planté voici longtemps dans le sol de la vallée de Touch. Les personnes viennent visiter l’arbre millénaire, dont la ramure s’étend sur une circonférence énorme.
En langue kazakh, le chamane se dit « baksy » et cet espace d’Asie centrale se caractérise par la baksylyk, qui témoigne d’une subtile imprégnation des expériences chamaniques et les croyances islamiques. Cet arbre vénéré, le Karagatch, qui a donné son nom à la montagne proche est, selon Lagan qui l’a photographié, un « Karagatchi « …Par extension phonétique, imaginons un kara-baksy, c’est à dire un chamane noir ou du Nord… ce qui ramène à la puissance bénéfique de l’arbre immense de la vallée de Touch, au Nord du Kazakhstan.
Arbres ancêtres
L’arbre cosmique, dit « arbre du Monde »
« Un arbre devient sacré, tout en continuant d’être arbre, en vertu de la puissance qu’il manifeste ; et s’il devient arbre cosmique, c’est que ce qu’il manifeste, répète en tous points ce que manifeste le Cosmos ».
Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, 1949
Mélèze de mon Jardin, par Maryse Emel
C’était mon mélèze. Fort, robuste et au milieu du jardin. Probablement qu’il m’avait murmuré que ce lieu était le mien. Je m’y installais.
Il me donnait des racines sans que je ne l’aie jamais su. L’habitude de le voir dans ce quotidien sans doute avait transformé sa présence en absence. Il était là et je ne voyais rien.
Tellement élevé vers le ciel que tout le monde avait renoncé à remettre en cause cette grandeur exclusive. Les autres arbres faisaient profil bas.
Les jours de tempête il accompagnait les bourrasques du vent. Il m’effrayait aussi. Mais après il n’y avait plus qu’à ramasser les brindilles, les sécher et faire le feu dans la cheminée.
Il résistait à tout. Mes enfants couraient autour, jouant à des jeux d’enfants, invisibles aux adultes.
C’était mon mélèze.
Il est toujours là. Moi j’ai dû partir, découvrant alors soudain sa présence dans cette absence que j’avais choisie.
Il me donnait des racines, je n’en ai plus. On peut toujours se consoler en en appelant à la raison. Mais sur ce coup, impuissante la raison !
Je n’ai jamais su pourquoi sa présence ne cesse jamais de m’étreindre.
Je n’ai jamais réussi à me fixer comme disent trop de gens.
Le souvenir est là, je le vois, moi qui oublie si vite un passé qui m’incommode.
C’était mon mélèze. Je le sens très fort. D’autres que moi s’en approchent.
Moi, je pleure encore parfois.
Maryse Emel
L’Esprit Cerf, de Vero Bene
Un être qui abrite toutes les genèses ?
L’abre-parapluie protège de ses ramures ailées les récits de chacun. Sa grande aile verte traduit la lumière de la vie, tandis qu’il envoie par gouttes d’or, la bienveillance des étoiles aux humains qu’il berce.
Sylvie Dallet
un être debout par des forces confuses…
« L’homme comme l’arbre est un être où des forces confuses viennent se tenir debout. »
Gaston Bachelard
L’arbre, un poème d’Émile Verhaeren (Belgique)
Tout seul,
Que le berce l’été, que l’agite l’hiver,
Que son tronc soit givré ou son branchage vert,
Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine,
Il impose sa vie énorme et souveraine
Aux plaines.
Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans
Et les mêmes labours et les mêmes semailles ;
Les yeux aujourd’hui morts, les yeux
Des aïeules et des aïeux
Ont regardé, maille après maille,
Se nouer son écorce et ses rudes rameaux.
Il présidait tranquille et fort à leurs travaux ;
Son pied velu leur ménageait un lit de mousse ;
Il abritait leur sieste à l’heure de midi
Et son ombre fut douce
A ceux de leurs enfants qui s’aimèrent jadis.
Dès le matin, dans les villages,
D’après qu’il chante ou pleure, on augure du temps ;
Il est dans le secret des violents nuages
Et du soleil qui boude aux horizons latents ;
Il est tout le passé debout sur les champs tristes,
Mais quels que soient les souvenirs
Qui, dans son bois, persistent,
Dès que janvier vient de finir
Et que la sève, en son vieux tronc, s’épanche,
Avec tous ses bourgeons, avec toutes ses branches,
– Lèvres folles et bras tordus –
Il jette un cri immensément tendu
Vers l’avenir.
Alors, avec des rais de pluie et de lumière,
Il frôle les bourgeons de ses feuilles premières,
Il contracte ses noeuds, il lisse ses rameaux ;
Il assaille le ciel, d’un front toujours plus haut ;
Il projette si loin ses poreuses racines
Qu’il épuise la mare et les terres voisines
Et que parfois il s’arrête, comme étonné
De son travail muet, profond et acharné.