« Ce poète, un soir auprès du feu dans le désert, racontait simplement son arbre. Et mes hommes l’écoutaient, dont beaucoup n’avaient jamais vu qu’herbe à chameau et palmiers nains et ronces. « Tu ne sais pas, leur disait-il, qu’est un arbre. J’en ai vu un qui avait poussé par hasard dans une maison abandonnée, un abri sans fenêtres, et qui était parti à la recherche de la lumière. Comme l’homme doit baigner dans l’air, comme la carpe doit baigner dans l’eau, l’arbre doit baigner dans la clarté. Car planté dans la terre par ses racines, planté dans les astres par ses branchages, il est le chemin de l’échange entre les étoiles et nous. Cet arbre, né aveugle, avait donc déroulé dans la nuit sa puissante musculature et tâtonné d’un mur à l’autre et titubé et le drame s’était imprimé dans ses torsades. (…)
« Et je le voyais chaque jour dans l’aube se réveiller de son faîte à sa base. Car il était chargé d’oiseaux. Et dès l’aube commençait de vivre et de chanter, puis, le soleil une fois surgi, il lâchait ses provisions dans le ciel comme un vieux berger débonnaire, mon arbre maison, mon arbre château qui restait vide jusqu’au soir… »
Ainsi racontait-il, et nous savions qu‘il faut longtemps regarder l’arbre pour qu’il naisse de même en nous. Et chacun jalousait celui-là qui portait dans le cœur cette masse de feuillage et d’oiseaux.
Antoine de Saint-Exupery.
Deux interprétations de l’arbre en nous…