Tous les articles par Sylvie Dallet

L’Arbre en nous a parlé

Le poète et romancier François Cheng,  de l’Académie française a écrit, en 1998, ces mots éblouissants :

« Nous n’y pouvons rien /L’arbre en nous a parlé. »

La tradition juive et chrétienne accorde une place de choix aux arbres, par leur réalité même (la Bible mentionne une soixantaine d’espèces ligneuses), tant par les analogies spirituelles : bois du sacrifice et de la construction, ils sont toujours arbres de vie et des pourvoyeurs inlassables de cadeaux pour les humains. Un des Psaumes de la Bible dit ceci : Le juste poussera comme le palmier, il grandira comme le cèdre du Liban. Saint Bernard (1090-1153) est, avec Saint François d’Assise (1181-1226), régulièrement cité dans le Moyen Âge chrétien pour son attention aux arbres :

« Crois-en mon expérience : tu trouveras quelque chose de plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers t’enseigneront ce que tu ne pourrais apprendre des plus grands maîtres ».

Au tournant du XXIème siècle, le Pape Jean-Paul II rappelle aux pélerins de Noël les bienfaits des arbres en ces termes : « Déjà, dans mon pays, j’aimais beaucoup les arbres. Lorsqu’on les regarde, ils se mettent en un certain sens à parler. Un poète considère les arbres comme des prédicateurs portant un message profond : Ils ne prêchent pas des doctrines et des recettes, mais annoncent la loi fondamentale de la vie. A travers la floraison du printemps, la maturité de l’été, les fruits de l’automne et le déclin de l’hiver, l’arbre raconte le mystère de la vie. C’est pourquoi les hommes, depuis les temps anciens, ont adopté l’image de l’arbre pour réfléchir sur les questions principales de la vie. (…)

« Comme les arbres, les hommes aussi ont besoin de racines profondément ancrées dans la terre. Seul celui qui est enraciné dans la terre fertile possède la stabilité. Il peut s’élever vers le haut pour accueillir la lumière du soleil et peut, dans le même temps, résister aux vents autour de lui. Mais celui qui croit pouvoir vivre sans fondement vit une existence incertaine qui ressemble à des racines sans terre (…) L’Apôtre Paul nous donne un bon conseil : Comme les arbres qui ont en Lui ses racines, appuyez-vous sur votre foi telle qu’on vous l’a enseignée. (…)  Recevez comme don le message de l’arbre, tel que l’a exprimé le Psalmiste :

Heureux l’homme […] qui se plaît dans la loi du Seigneur [et] murmure sa loi jour et nuit ! Il est comme un arbre planté auprès des cours d’eau ; celui-là portera fruit en son temps et jamais son feuillage ne sèche ; tout ce qu’il fait réussit.  »

Arbres et Anabase

Le poète mauricien  Khal Torabully, compose sous ce titre un recueil de poèmes après un intense séjour en Guadeloupe. Ses poèmes sont des hymnes aux arbres caraïbes, dont ce   lamantin, « arbre dont les pieds/ chassent l’empreinte du soleil/et les murmures de la vie.. ». il rejoint par ses évocations brûlantes le souffle  du romancier Stephen Alexis et ses magnifiques « arbres musiciens »…

« Chêne dans une terre
olivier dans le désert,
banyan dans la poussière,
les noms que tu me donnes
ressemblent à une dévotion
venue de la rencontre
entre toi et la naissance du monde« 

L’arbre d’or

Du hameau d’Aubaron ( Fix-Saint-Geneys – Haute Loire), le compositeur Dominique Reynier nous envoie cette chanson… tandis que de Pébrac (Haute-Loire, Atelier du Panoramique auvergnat),  Anne- Marie Wauquier nous adresse son arbre aux monts du Dévès…

La vitre est sale /Larmes salées
De solitude / Le ciel se voile
Aux cils bleutés/  De lassitude

Refrain :  Ris le temps et chante l’heure /Pour l’arbre d’or que plie le vent

Aux rideaux blancs / Le chant des ans
Mêle des rides / Lève le pan
D’un geste lent / Trouve le vide

Refrain :   Ris le temps et chante l’heure / Pour l’arbre d’or que plie le vent

Nuages gris/ Hors de la tête
Déchire le pli/ De ta fenêtre
Au ciel à mis/ Un peu de fête
Un oiseau crie/ Ton cœur s’arrête

Refrain : Ris le temps et chante l’heure / Pour l’arbre d’or que plie le vent


Aubaron aux framboisiers (Photo Sylvie Dallet)

« L’arbre doit baigner dans la clarté » par Antoine de Saint Exupéry

« Ce poète, un soir auprès du feu dans le désert, racontait simplement son arbre. Et mes hommes l’écoutaient, dont beaucoup n’avaient jamais vu qu’herbe à chameau et palmiers nains et ronces. « Tu ne sais pas, leur disait-il, qu’est un arbre. J’en ai vu un qui avait poussé par hasard dans une maison abandonnée, un abri sans fenêtres, et qui était parti à la recherche de la lumière. Comme l’homme doit baigner dans l’air, comme la carpe doit baigner dans l’eau, l’arbre doit baigner dans la clarté. Car planté dans la terre par ses racines, planté dans les astres par ses branchages, il est le chemin de l’échange entre les étoiles et nous. Cet arbre, né aveugle, avait donc déroulé dans la nuit sa puissante musculature et tâtonné d’un mur à l’autre et titubé et le drame s’était imprimé dans ses torsades.  (…)
« Et je le voyais chaque jour dans l’aube se réveiller de son faîte à sa base. Car il était chargé d’oiseaux. Et dès l’aube commençait de vivre et de chanter, puis, le soleil une fois surgi, il lâchait ses provisions dans le ciel comme un vieux berger débonnaire, mon arbre maison, mon arbre château qui restait vide jusqu’au soir… »

Ainsi racontait-il, et nous savions qu‘il faut longtemps regarder l’arbre pour qu’il naisse de même en nous. Et chacun jalousait celui-là qui portait dans le cœur cette masse de feuillage et d’oiseaux.

Antoine de Saint-Exupery.

Deux interprétations de l’arbre en nous…

Main soir Chavaniac (photo Sylvie Dallet)
Main soir Chavaniac (photo Sylvie Dallet)
La main feuillue  où l'arbre des amoureux (dessin Georges Seror)
La main feuillue où l’arbre des amoureux (dessin Georges Seror)

L’arbre placentaire

Les liens des humains avec les arbres s’expriment, dans de  nombreuses traditions vivantes dans le monde,  par le recueil du placenta auprès d’un arbre, qui symbolise la continuité du vivant et le développement harmonieux de l’enfant. Ces pratiques trouvent un écho dans les formes de reforestation ou de jardins partagés qui associent en Europe, pour exemple, un enfant à un arbre.
Selon l’étude de  l’ethnologue  Bruno Saura  (« Enterrer le placenta ; l’évolution d’un rite de naissance en Polynésie française », consultable sur le Net), les Polynésiens (Tahiti et Moorea, îles-sous-le-Vent et îles Australes) accordent une place fondatrice à ce placenta,  nommé  pu-fenua, ce qui signifie étymologiquement « centre/noyau (de) terre ». Les Tahitiens continuent d’enterrer le placenta dans la cour de leur maison, dans leur jardin, à proximité immédiate d’un arbre fruitier. Le placenta de l’enfant n’est pas, dans cette pratique, lié avec un nouvel arbre qui grandira avec lui et symbolisera son identité individuelle, comme en Amérique centrale (et aujourd’hui dans certaines villes européennes), mais bien de traduire la continuité harmonieuse de  l’homme et les plantes. L’enterrement du placenta signifie la fructification entre l’arbre et ce nouveau-né, dont le pu-fenua est « planté » par un parent ou grand-parent, c’est-à-dire, par quelqu’un qui a déjà donné la vie. Cette continuité fait écho à la tradition tahitienne qui veut que les premiers fruits d’un arbre soient cueillis par une femme ayant déjà enfanté; on constate donc dans ce rite un lien structurel entre la naissance, le placenta et la terre, par le symbole de l’arbre conducteur.

Ce « noyau de terre », coeur nourricier de l’enfant  perçu comme une parcelle de terre originelle,  est appelé à intégrer ou à « réintégrer » la terre. Les natifs des îles Marquises préfèrent enterrer le placenta sous les racines d’un banian, qui symbolise la filiation des humains avec les ancêtres ; la parenté et la terre sont étroitement liées en Océanie comme en Amérique centrale, ce sont les hommes qui appartiennent, au travers du symbole de l’arbre, à la terre et non l’inverse.

L’arbre est au milieu du monde du nouveau né et, plus tard, de la personne qu’il est appelé à devenir, dans une fructification des forces qui sont les siennes. En France, les noms d’arbres sont majoritairement masculins, alors que les noms d’herbes  et de fruits sont féminins. Cet équilibre trouve sa racine dans les perceptions les plus anciennes de la Nature, telles que les ethnologues commencent à l’expliquer.

Sylvie Dallet

Le cœur peuplier

Dans la mythologie slave, Bouïane (en russe Буя́н) est une île légendaire, qui a la capacité d’apparaître et de disparaître à volonté. Trois frères y vivent : le Vent du Nord, le Vent d’Ouest et le Vent d’Est. Il s’y passe nombre d’évènements étranges. Kochtcheï l’Immortel y cache sa mort dans une aiguille à l’intérieur d’un œuf, dans un chêne mystique (l’Arbre du Monde). Ce chêne croît sur la Pierre-Alatyr, « père de toutes les pierres », désignant le centre du monde : qui saurait la trouver verrait tous ses désirs comblés.Peuplier de la rue des Pleus (photoSylvie Dallet)

Dans l’inspiration des Arts ForeZtiers,  pour un projet autour des métamorphoses d’Ovide (ici, la métamorphose des jeunes filles en peupliers) Vero Bene a conçu  et dessiné ce peuplier aux racines proches de l’eau, dont le tronc cache un cœur…  Cette légende du cœur de l’arbre tire ses racines d’un conte égyptien très ancien :   Le Conte des deux Frères (xve siècle avant notre ère) raconte que pour échapper à ses ennemis, le héros Bitiou place son cœur « au sommet de la fleur de l’Acacia. »

Comme un fragment de Desnos qui résonne  :

« Il était un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de cœur
Cœur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit. »

L’arbre de la science

Adam & Eve (Molas-mexique)
L’arbre de la science doit être approché avec respect : la science sans conscience n’est  que ruine de l’âme… Ici, le Milieu du Monde est un simple rectangle de tissu rouge que les Indiennes brodent de couleurs pour orner leurs vêtements de récits symboliques et raffinés.
Pura_Ayung(INDONESIA)
En Indonésie, les arbres blessés se réparent grâce aux constructions humaines… (photo Laurence Honnorat)

 

Le Karagatchi kazakh, photographié par Lagan

Un arbre ancêtre au kazakhstan (photo Lagan)Autour de l’arbre-ancêtre du Kazakhstan, les arbres voisins sont courbés comme en révérence. Une légende racontée au  peintre Lagan,   rapporte  que  ce karagatch (un sycomore) est né du bâton qu’un sage a planté voici longtemps dans le sol de la vallée de Touch. Les personnes viennent visiter l’arbre millénaire, dont la ramure s’étend sur une circonférence énorme.

 les arbres voisins du grand Karagatch (sycomore)
Les arbres voisins du grand Karagatch (sycomore)  ne se tiennent pas droit
 Ces arbres sont inclinés en direction de l'arbre ancêtre, comme courbés en déférence ou attirés par sa force
Ces arbres sont tous inclinés en direction de l’arbre ancêtre, comme courbés en déférence ou attirés par sa force…

 

 

 

 

 

 

 

En langue kazakh, le chamane se dit « baksy » et cet espace d’Asie centrale se caractérise par  la baksylyk,  qui témoigne d’une subtile imprégnation des expériences chamaniques et les croyances islamiques. Cet arbre vénéré, le Karagatch, qui a donné son nom à la montagne proche est, selon Lagan qui l’a photographié,  un « Karagatchi « …Par extension phonétique, imaginons un kara-baksy, c’est à dire un chamane noir ou du Nord… ce qui  ramène à la puissance bénéfique de l’arbre immense de la vallée de Touch, au Nord du Kazakhstan.

Arbres ancêtres

 Cet arbre se dresse entre les mélèzes chinois et les séquoias, comme une paume ouverte. Que dit il avant de rejoindre l'humus profond ?
Cet arbre se dresse entre les mélèzes chinois et les séquoias, comme une paume ouverte. Que  nous dit-il avant de rejoindre l’humus profond ?
Un arbre ancêtre au kazakhstan (photo Lagan)
Cet arbre kazakh est devenu un lieu saint de méditation, encore vigoureux malgré ses branches ployées

 

 Cet arbre peint en bleu pour le conserver comme témoin  de la pollution humaine, est  désormais une oeuvre du musée de la Nature.
Cet arbre  d’Angers, peint en bleu pour le conserver comme témoin de la pollution humaine, est désormais une oeuvre du musée de la Nature.