Archives de catégorie : Non classé

Comment situer le Milieu du Monde ?

Dans le thème du Festival des Arts ForeZtiers 2015, « L’Arbre du Milieu du Monde », notre réflexion est, d’emblée, accaparée par le mot « arbre ». De fait, tant par ses réalités multiples, que par la richesse de son symbolisme, l’arbre, les arbres, nous sont relativement familiers.
Ce mouvement spontané de l’esprit – réfléchir autour de l’arbre, nous évite cependant je pense de prendre la réelle mesure de notre ignorance, et peut-être ainsi nous évite d’avoir à nous confronter à chose moins connue, voire de nous inconnue : le Milieu du Monde.
Le milieu, à proprement parler, n’est pas véritablement le centre. Le milieu est à égale distance de deux points que nous restons toujours libres d’imaginer sur différents plans, tandis que la notion de centre induit un point intérieur fixe.
Pour parvenir à l’idée du Milieu du Monde, nous devons d’abord je crois nous dévêtir intellectuellement, nous défaire de ce que nous croyons savoir, par exemple concernant l’axis mundi, l’Arbre Séphirotique, et autres voies labyrinthiques propres à nous égarer. Nous devons détisser, chercher les idées derrière les mots, et même bien au-delà des symboles avec lesquels il peut être parfois si facile de jongler. Nous devons dé-lire.

Nous pourrions alors je pense évoquer un quelque-nulle-part, qui serait à mi-lieu. A mi-chemin. Mais comme la pointe élevée d’un triangle l’est de ses deux angles de base.
Cet espace singulier, nous pourrions le concevoir comme zone de tramage de deux autres environnements. Comme une zone d’interférences aussi, c’est-à-dire de superposition d’ondes en partie de même nature entre, d’une part, le monde extérieur à nous, et, d’autre part, ce que nous désignons comme étant notre monde intérieur, c’est-à-dire celui à partir duquel nous lisons le monde extérieur comme réel, et également notre monde dit « intérieur » comme imaginaire, ou, d’une quelconque façon, comme relevant de l’ordre de la simulation.
Une telle zone intermédiaire, médiane et médiatrice, pourrait en fait être à mi-lieu. Ni extérieure, ni intérieure, dans un entre-deux, dans l’interstice et le laps, la compénétration, là où ça ne coïncide plus vraiment et où un switch peut se produire, comme la simple action d’un commutateur qui rendrait l’interconnexion possible.
Jouer avec les mots, se jouer du langage, pourrait permettre cette bascule. Par exemple, pointer le double sens de « gravité » dans toute sa force de gravitation, et toute la polysémie du terme « milieu », jusqu’à l’immonde peut-être, pour passer du « centre de gravité » à un « milieu de gravité ». D’autres parcours à imaginer sont possibles et, espérons-le, nombreux. Parce qu’il n’en a aucune, un tel espace peut accueillir toutes les formes.
Une approche chronotopique, c’est-à-dire qui reconsidérerait les éléments, à la fois, temporels et spatiaux, contenus dans le thème de ce festival 2015, pourrait ainsi cet été faire coïncider à Chavaniac-Lafayette l’espace géographique physique avec… le Milieu du Monde.

Egolocaliser (géolocaliser en soi) cet espace mental, le Milieu du Monde, pensé comme intérieur, et tracer de possibles trajets pour y parvenir, pour y advenir, serait peut-être alors véritablement se permettre l’accès au non-site de l’Arbre du Milieu du Monde, à ce non-emplacement, ce non-lieu du langage courant où la Parole s’arrêterait pour faire véritablement sens.
J’imagine que cet espace joue comme le miroir et autres artifices dont usa Diego Vélasquez dans sa célèbre toile Las Meninas, et pouvoir peut-être en arriver ainsi à une conclusion assez proche de celle de Michel Foucault en 1966 dans son essai Les mots et les choses. Cet espace-miroir du Milieu du Monde : « restitue la visibilité [la lisibilité] à ce qui demeure hors de tout regard. ».

Lorenzo Soccavo, chercheur en prospective du livre et de la lecture.

Aux Arbres

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère!

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

Victor Hugo

L’Arbre Sacré

« Le Créateur a planté, pour tous les habitants de la terre, un Arbre sacré sous lequel ils peuvent trouver ensemble l’apaisement, la force, la sagesse et la sécurité. Les racines de cet arbre s’enfoncent profondément dans notre Mère la Terre. Ses branches s’élèvent vers le firmament comme des mains tendues pour une prière à notre Père le Ciel. Ses fruits représentent les dons du Créateur : des enseignements qui montrent le chemin de l’amour, de la compassion, de la générosité, de la patience, de la sagesse, de la justice, du courage, du respect, de l’humilité et de tant d’autres vertus.

Les anciens nous ont appris que la vie de l’Arbre est intimement liée à celle des Êtres. Si les Êtres s’écartent de l’ombre protectrice de l’Arbre, s’ils oublient de se nourrir de ses fruits ou s’ils se tournent contre lui et cherchent à le détruire, un grand malheur s’abbattra sur eux. Nombre d’entre eux auront la mort dans l’âme. Ils perdront leur force morale. Ils cesseront de rêver et d’avoir des visions. Ils se querelleront pour un oui ou pour un non. Ils deviendront incapables de dire la vérité et d’avoir des rapports honnêtes entre eux. Ils ne sauront plus survivre sur leurs propres terres. Ils seront en proie à la colère et à la mélancolie. Petit à petit, ils s’empoisonneront et empoisonneront tout ce qu’ils toucheront.

Il avait été prédit que ces événements se produiraient, mais que l’Arbre ne mourrait jamais. Et tant que l’Arbre conserve la vie, les Êtres la conservent aussi. Il avait également été prédit qu’un jour les Êtres se réveilleraient comme s’ils sortaient d’un long sommeil, en état d’hypnose, et qu’ils repartiraient, timidement d’abord, puis avec une grande ardeur, à la recherche de l’Arbre sacré.

Où se trouve cet arbre, quels sont les fruits qui en garnissent les branches? Voilà un secret que nos sages chefs et anciens ont toujours gardé et conservé précieusement dans leur esprit et leur cœur. Ces âmes humbles bienveillantes et dévouées guideront quiconque s’engage avec honnêteté et sincérité sur le chemin menant à l’ombre protectrice de l’Arbre sacré.

Wantaqo’ti… »

D’après un texte amérindien, choisi par Elvire Ogiwara, femme de connaissance de traditions amérindienne et shamanique.

Les bois noirs d’Henri Pourrat

En 1931, Henri Pourrat décrit au travers du récit de Gaspard des Montagnes, les bois noirs du Forez :

« Elles n’ont rien de trop gai, les forêts qui s’en vont sur ces plateaux, du côté de la Chaise-Dieu. Des sapins, des sapins, des sapins, jamais une âme. Les chemins sablonneux s’enfoncent de salle obscure en salle obscure, parmi la mousse et la fougère, sous ces grandes rames balançantes. Les grappes du sureau rouge tirent l’œil, ou bien quelque pied de digitale pourprée. Il y a des endroits où le soleil semble n’avoir point percé depuis des mondes d’années : c’est sombre, c’est noir, c’est la mort. Une forêt comme celle de la complainte de sainte Geneviève de Brabant, où des ermites peuvent vivre solitaires et qu’on imagine pleine de loups, de renards, de blaireaux. A dix pas, sait-on ce qui se ce cache derrière ces fûts gercés des arbres où la résine met des traînées de suif ? Tout remue, mais remue à peine. Tout est silence, mais un silence traversé de vingt bruits menus. Une belette qui se sauve, un souffle de vent dans la feuille des houx, une fontaine qui s’égoutte derrière la roche. Et lorsque le sentier monte en tournant sous le couvert, à travers les masses de pierres détachées, dans le désordre des sapins penchés sur leurs nœuds de racines, on croirait aller vers des cavernes de faux-monnayeurs et de brigands. »

Un poème de Pierre de Ronsard

“Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?”

(Pierre de Ronsard Contre les bûcherons de la forêt de Gastine)

Poème choisi par Luc Dellisse, écrivain

L’arbre matrimoine

« En France, les beautés de la Nature ont suscité des actions pionnières de valorisation depuis le XIXème siècle, issues du courant romantique. Celui-ci signalait les liens entre la Nature et la Création artistique : c’est à partir des campagnes de presse et des adresses parlementaires d’artistes et de romanciers tels que Georges Sand, Victor Hugo ou Chopin que la Forêt de Fontainebleau a été reconnue comme « réserve artistique », suscitant en chaîne à la fois des implantations artistiques continues (les peintres de Barbizon pour exemple) et une œuvre de balisage exemplaire des chemins et une exceptionnel travail de bénévoles amoureux du site. Le respect public leur a conféré le nom de Sylvains : les Sylvains Denecourt et Colinet de la fin du XIXème siècle sont les figures de cette découverte « créatrice » des beautés de la forêt, la préservant des coupes sombres des forestiers et du saccage des promoteurs.

Ce modèle « participatif » (avant la crue du mot) a également permis une réflexion nationale dès 1903 puis une législation internationale sur la protection des espaces « d’inspiration » : les Parcs Naturels Régionaux sont issus de cette réflexion de même que les classements au patrimoine international de l’UNESCO. À ce jour, le domaine forestier de Fontainebleau, premier monument de France en terme de fréquentation, attire dix-sept millions de promeneurs par an, si bien que la SNCF organise le dimanche matin, des arrêts de train en pleine forêt, permettant aux familles et aux randonneurs d’éviter la ville. (…)

Naguère, la pauvreté irlandaise se mesurait à la présence d’un arbre fruitier devant la maison, aujourd’hui des propriétaires de riches villas méditerranéennes, rachètent pour les replanter, des oliviers centenaires qui orneront leurs jardins. Si au XXème siècle, les Américains fortunés ont fait transporter des monuments entiers de pays pillés en Californie, au XXIème siècle, c’est l’arbre vénérable, symbole d’une identité ancienne, qui suscite des convoitises sociales. La valeur des monuments est en train de varier selon les paysages. » Sylvie Dallet (in Ressources de la Créativité, éditions L’Harmattan, 2015).

Peut être un jour, assisterons nous à des convoitises telles que des arbres seront dérobés comme des tableaux ou des fruits à l’étalage ?  L’énorme chêne-liège du monastère libanais de Beit Mery porte ses 800 ans d’âge. Poussé sur le rocher dont il broie les pierres comme digérées par la sève, il a survécu à tous les affrontements humains. Un arbre incunable, un arbre retable, un arbre bijou, un arbre matrimoine…

Sylvie Dallet

Les livres en la forêt, pages et belles feuilles

par Véro Béné
Livre forêt par Véro Béné

Le thème choisi pour la quatrième édition des Arts ForeZtiers 2015 (28/31 août),  L’Arbre du Milieu du Monde, en appelle à l’historisation qui opère dans la prospective du livre et de la lecture, dès lors qu’il s’agit de comprendre les actuelles et à venir mutations des dispositifs et des pratiques de lecture, à la fois, à la lumière de leurs passés réels, et, de leurs racines mythiques, dès lors que nous nous concevons comme « animal lecteur », membres d’une « espèce fabulatrice », et ne cessons de questionner la pertinence de l’Hypothèse Sapir-Whorf qui postule que la langue avec laquelle nous pensons et lisons, nous écrivons et communiquons, donnerait forme à notre expérience du monde.
La lecture que nous ferions des mondes imaginaires, du monde particulier de la forêt, et d’une contemporanéité plus ou moins partagée, cette lecture singulière nous inscrirait en retour dans un effet de réel, dont seules, peut-être, des stratégies de lecture dé-li(r)antes pourraient nous délier.

Ainsi, le symbolisme de l’Arbre du Milieu oriente naturellement dans un premier temps notre réflexion vers le Pardès de la kabbale. Paradis dissimulé, jardin, verger, vignoble peut-être (d’où découle le mot « page »), un champ (pensons aux écritures boustrophédon, au rongo-rongo…) dont l’entretien, dans toute sa polysémie, nous ferait progresser dans notre lecture des mystères du monde.
Le bien connu sonnet « Correspondances » de Baudelaire, avec son vers : « L’homme y passe à travers des forêts de symboles », nous transporte dans ces bois d’où la lecture un jour se mit en marche aux côtés de nos ancêtres (se reporter aux étymologies latine et grecque de « livre » : liber, biblos…).
En quoi alors cette « forêt de symboles », et, par extension, forêt de signes, forêt de lettres, pourrait-elle nous inciter à la recherche de sentiers de traverse, de lectures buissonnières ?
Si nous suivions ce chemin, alors l’expérience devrait être partagée et s’enrichir de celles de lectrices et de lecteurs, non plus de livres seulement, mais de forêts également.

L’on compare généralement certaines grandes constructions romanesques à des cathédrales, parfois à des symphonies, et cela souvent implicitement, c’est-à-dire sans que ce rapport mystérieux ne soit clairement formulé. Et si maintenant nous les comparions à des forêts ? Si l’on y faisait émerger, de lectures singulières, les invisibles forêts qu’elles renferment peut-être, comme des cités, je pense notamment aux villes invisibles d’Italo Calvino ?
D’où ces deux interrogations : y aurait-il des forêts invisibles dans des livres, et, y aurait-il des livres invisibles dans des forêts, ou, plus exactement, des livres seraient-ils des forêts, et vice-versa ?
Un autre chemin serait peut-être de rechercher la trace de cet Arbre du Milieu et du mille-feuilles des possibles lectures, dans le célèbre roman de Kenzaburo Oe, « M/T et l’Histoire des merveilles de la forêt »… A suivre…

Lorenzo Soccavo, chercheur en prospective du livre et de la lecture.

L‘arbre bleu du Couvent

voilà
L‘arbre bleu du Couvent

il est mort des mauvais traitements
probablement chimiques de mon voisin exploitant agricole pas agri-cool
je l’ai peint de la couleur la plus artificielle qui soit
pour dire que sa fin prématurée l’était tout autant
et puis parce que ça met le blue
et puis parce que j’aime le bleu et le dessin qu’il fait maintenant en contraste en toute saison

François Terrien