Les liens des humains avec les arbres s’expriment, dans de nombreuses traditions vivantes dans le monde, par le recueil du placenta auprès d’un arbre, qui symbolise la continuité du vivant et le développement harmonieux de l’enfant. Ces pratiques trouvent un écho dans les formes de reforestation ou de jardins partagés qui associent en Europe, pour exemple, un enfant à un arbre.
Selon l’étude de l’ethnologue Bruno Saura (« Enterrer le placenta ; l’évolution d’un rite de naissance en Polynésie française », consultable sur le Net), les Polynésiens (Tahiti et Moorea, îles-sous-le-Vent et îles Australes) accordent une place fondatrice à ce placenta, nommé pu-fenua, ce qui signifie étymologiquement « centre/noyau (de) terre ». Les Tahitiens continuent d’enterrer le placenta dans la cour de leur maison, dans leur jardin, à proximité immédiate d’un arbre fruitier. Le placenta de l’enfant n’est pas, dans cette pratique, lié avec un nouvel arbre qui grandira avec lui et symbolisera son identité individuelle, comme en Amérique centrale (et aujourd’hui dans certaines villes européennes), mais bien de traduire la continuité harmonieuse de l’homme et les plantes. L’enterrement du placenta signifie la fructification entre l’arbre et ce nouveau-né, dont le pu-fenua est « planté » par un parent ou grand-parent, c’est-à-dire, par quelqu’un qui a déjà donné la vie. Cette continuité fait écho à la tradition tahitienne qui veut que les premiers fruits d’un arbre soient cueillis par une femme ayant déjà enfanté; on constate donc dans ce rite un lien structurel entre la naissance, le placenta et la terre, par le symbole de l’arbre conducteur.
Ce « noyau de terre », coeur nourricier de l’enfant perçu comme une parcelle de terre originelle, est appelé à intégrer ou à « réintégrer » la terre. Les natifs des îles Marquises préfèrent enterrer le placenta sous les racines d’un banian, qui symbolise la filiation des humains avec les ancêtres ; la parenté et la terre sont étroitement liées en Océanie comme en Amérique centrale, ce sont les hommes qui appartiennent, au travers du symbole de l’arbre, à la terre et non l’inverse.
L’arbre est au milieu du monde du nouveau né et, plus tard, de la personne qu’il est appelé à devenir, dans une fructification des forces qui sont les siennes. En France, les noms d’arbres sont majoritairement masculins, alors que les noms d’herbes et de fruits sont féminins. Cet équilibre trouve sa racine dans les perceptions les plus anciennes de la Nature, telles que les ethnologues commencent à l’expliquer.
Sylvie Dallet