


« Un arbre devient sacré, tout en continuant d’être arbre, en vertu de la puissance qu’il manifeste ; et s’il devient arbre cosmique, c’est que ce qu’il manifeste, répète en tous points ce que manifeste le Cosmos ».
Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, 1949
C’était mon mélèze. Fort, robuste et au milieu du jardin. Probablement qu’il m’avait murmuré que ce lieu était le mien. Je m’y installais.
Il me donnait des racines sans que je ne l’aie jamais su. L’habitude de le voir dans ce quotidien sans doute avait transformé sa présence en absence. Il était là et je ne voyais rien.
Tellement élevé vers le ciel que tout le monde avait renoncé à remettre en cause cette grandeur exclusive. Les autres arbres faisaient profil bas.
Les jours de tempête il accompagnait les bourrasques du vent. Il m’effrayait aussi. Mais après il n’y avait plus qu’à ramasser les brindilles, les sécher et faire le feu dans la cheminée.
Il résistait à tout. Mes enfants couraient autour, jouant à des jeux d’enfants, invisibles aux adultes.
C’était mon mélèze.
Il est toujours là. Moi j’ai dû partir, découvrant alors soudain sa présence dans cette absence que j’avais choisie.
Il me donnait des racines, je n’en ai plus. On peut toujours se consoler en en appelant à la raison. Mais sur ce coup, impuissante la raison !
Je n’ai jamais su pourquoi sa présence ne cesse jamais de m’étreindre.
Je n’ai jamais réussi à me fixer comme disent trop de gens.
Le souvenir est là, je le vois, moi qui oublie si vite un passé qui m’incommode.
C’était mon mélèze. Je le sens très fort. D’autres que moi s’en approchent.
Moi, je pleure encore parfois.
Maryse Emel
L’abre-parapluie protège de ses ramures ailées les récits de chacun. Sa grande aile verte traduit la lumière de la vie, tandis qu’il envoie par gouttes d’or, la bienveillance des étoiles aux humains qu’il berce.
Sylvie Dallet
« L’homme comme l’arbre est un être où des forces confuses viennent se tenir debout. »
Gaston Bachelard
Tout seul,
Que le berce l’été, que l’agite l’hiver,
Que son tronc soit givré ou son branchage vert,
Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine,
Il impose sa vie énorme et souveraine
Aux plaines.
Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans
Et les mêmes labours et les mêmes semailles ;
Les yeux aujourd’hui morts, les yeux
Des aïeules et des aïeux
Ont regardé, maille après maille,
Se nouer son écorce et ses rudes rameaux.
Il présidait tranquille et fort à leurs travaux ;
Son pied velu leur ménageait un lit de mousse ;
Il abritait leur sieste à l’heure de midi
Et son ombre fut douce
A ceux de leurs enfants qui s’aimèrent jadis.
Dès le matin, dans les villages,
D’après qu’il chante ou pleure, on augure du temps ;
Il est dans le secret des violents nuages
Et du soleil qui boude aux horizons latents ;
Il est tout le passé debout sur les champs tristes,
Mais quels que soient les souvenirs
Qui, dans son bois, persistent,
Dès que janvier vient de finir
Et que la sève, en son vieux tronc, s’épanche,
Avec tous ses bourgeons, avec toutes ses branches,
– Lèvres folles et bras tordus –
Il jette un cri immensément tendu
Vers l’avenir.
Alors, avec des rais de pluie et de lumière,
Il frôle les bourgeons de ses feuilles premières,
Il contracte ses noeuds, il lisse ses rameaux ;
Il assaille le ciel, d’un front toujours plus haut ;
Il projette si loin ses poreuses racines
Qu’il épuise la mare et les terres voisines
Et que parfois il s’arrête, comme étonné
De son travail muet, profond et acharné.
Dans le thème du Festival des Arts ForeZtiers 2015, « L’Arbre du Milieu du Monde », notre réflexion est, d’emblée, accaparée par le mot « arbre ». De fait, tant par ses réalités multiples, que par la richesse de son symbolisme, l’arbre, les arbres, nous sont relativement familiers.
Ce mouvement spontané de l’esprit – réfléchir autour de l’arbre, nous évite cependant je pense de prendre la réelle mesure de notre ignorance, et peut-être ainsi nous évite d’avoir à nous confronter à chose moins connue, voire de nous inconnue : le Milieu du Monde.
Le milieu, à proprement parler, n’est pas véritablement le centre. Le milieu est à égale distance de deux points que nous restons toujours libres d’imaginer sur différents plans, tandis que la notion de centre induit un point intérieur fixe.
Pour parvenir à l’idée du Milieu du Monde, nous devons d’abord je crois nous dévêtir intellectuellement, nous défaire de ce que nous croyons savoir, par exemple concernant l’axis mundi, l’Arbre Séphirotique, et autres voies labyrinthiques propres à nous égarer. Nous devons détisser, chercher les idées derrière les mots, et même bien au-delà des symboles avec lesquels il peut être parfois si facile de jongler. Nous devons dé-lire.
Nous pourrions alors je pense évoquer un quelque-nulle-part, qui serait à mi-lieu. A mi-chemin. Mais comme la pointe élevée d’un triangle l’est de ses deux angles de base.
Cet espace singulier, nous pourrions le concevoir comme zone de tramage de deux autres environnements. Comme une zone d’interférences aussi, c’est-à-dire de superposition d’ondes en partie de même nature entre, d’une part, le monde extérieur à nous, et, d’autre part, ce que nous désignons comme étant notre monde intérieur, c’est-à-dire celui à partir duquel nous lisons le monde extérieur comme réel, et également notre monde dit « intérieur » comme imaginaire, ou, d’une quelconque façon, comme relevant de l’ordre de la simulation.
Une telle zone intermédiaire, médiane et médiatrice, pourrait en fait être à mi-lieu. Ni extérieure, ni intérieure, dans un entre-deux, dans l’interstice et le laps, la compénétration, là où ça ne coïncide plus vraiment et où un switch peut se produire, comme la simple action d’un commutateur qui rendrait l’interconnexion possible.
Jouer avec les mots, se jouer du langage, pourrait permettre cette bascule. Par exemple, pointer le double sens de « gravité » dans toute sa force de gravitation, et toute la polysémie du terme « milieu », jusqu’à l’immonde peut-être, pour passer du « centre de gravité » à un « milieu de gravité ». D’autres parcours à imaginer sont possibles et, espérons-le, nombreux. Parce qu’il n’en a aucune, un tel espace peut accueillir toutes les formes.
Une approche chronotopique, c’est-à-dire qui reconsidérerait les éléments, à la fois, temporels et spatiaux, contenus dans le thème de ce festival 2015, pourrait ainsi cet été faire coïncider à Chavaniac-Lafayette l’espace géographique physique avec… le Milieu du Monde.
Egolocaliser (géolocaliser en soi) cet espace mental, le Milieu du Monde, pensé comme intérieur, et tracer de possibles trajets pour y parvenir, pour y advenir, serait peut-être alors véritablement se permettre l’accès au non-site de l’Arbre du Milieu du Monde, à ce non-emplacement, ce non-lieu du langage courant où la Parole s’arrêterait pour faire véritablement sens.
J’imagine que cet espace joue comme le miroir et autres artifices dont usa Diego Vélasquez dans sa célèbre toile Las Meninas, et pouvoir peut-être en arriver ainsi à une conclusion assez proche de celle de Michel Foucault en 1966 dans son essai Les mots et les choses. Cet espace-miroir du Milieu du Monde : « restitue la visibilité [la lisibilité] à ce qui demeure hors de tout regard. ».
Lorenzo Soccavo, chercheur en prospective du livre et de la lecture.
Pourquoi l’arbre nous touche-t-il?
Parce que son bois inventa le feu,
Le papier et le carton.
Parce que son feu inventa le charbon,
Et son tronc, le cylindre;
Sa feuille, l’ombre et la lumière;
Sa ramure, ma cabane, la balançoire
Et l’escalade vers le ciel, le soleil!
Et quand,
Immobile,
Avec la forêt,
Jouant
A cache-cache,
Toujours le même
Mais différent,
Il nous apprend:
Présence, absence,
Murmure, silence.