L’abre-parapluie protège de ses ramures ailées les récits de chacun. Sa grande aile verte traduit la lumière de la vie, tandis qu’il envoie par gouttes d’or, la bienveillance des étoiles aux humains qu’il berce.
Sylvie Dallet
L’abre-parapluie protège de ses ramures ailées les récits de chacun. Sa grande aile verte traduit la lumière de la vie, tandis qu’il envoie par gouttes d’or, la bienveillance des étoiles aux humains qu’il berce.
Sylvie Dallet
« L’homme comme l’arbre est un être où des forces confuses viennent se tenir debout. »
Gaston Bachelard
Tout seul,
Que le berce l’été, que l’agite l’hiver,
Que son tronc soit givré ou son branchage vert,
Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine,
Il impose sa vie énorme et souveraine
Aux plaines.
Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans
Et les mêmes labours et les mêmes semailles ;
Les yeux aujourd’hui morts, les yeux
Des aïeules et des aïeux
Ont regardé, maille après maille,
Se nouer son écorce et ses rudes rameaux.
Il présidait tranquille et fort à leurs travaux ;
Son pied velu leur ménageait un lit de mousse ;
Il abritait leur sieste à l’heure de midi
Et son ombre fut douce
A ceux de leurs enfants qui s’aimèrent jadis.
Dès le matin, dans les villages,
D’après qu’il chante ou pleure, on augure du temps ;
Il est dans le secret des violents nuages
Et du soleil qui boude aux horizons latents ;
Il est tout le passé debout sur les champs tristes,
Mais quels que soient les souvenirs
Qui, dans son bois, persistent,
Dès que janvier vient de finir
Et que la sève, en son vieux tronc, s’épanche,
Avec tous ses bourgeons, avec toutes ses branches,
– Lèvres folles et bras tordus –
Il jette un cri immensément tendu
Vers l’avenir.
Alors, avec des rais de pluie et de lumière,
Il frôle les bourgeons de ses feuilles premières,
Il contracte ses noeuds, il lisse ses rameaux ;
Il assaille le ciel, d’un front toujours plus haut ;
Il projette si loin ses poreuses racines
Qu’il épuise la mare et les terres voisines
Et que parfois il s’arrête, comme étonné
De son travail muet, profond et acharné.
Dans le thème du Festival des Arts ForeZtiers 2015, « L’Arbre du Milieu du Monde », notre réflexion est, d’emblée, accaparée par le mot « arbre ». De fait, tant par ses réalités multiples, que par la richesse de son symbolisme, l’arbre, les arbres, nous sont relativement familiers.
Ce mouvement spontané de l’esprit – réfléchir autour de l’arbre, nous évite cependant je pense de prendre la réelle mesure de notre ignorance, et peut-être ainsi nous évite d’avoir à nous confronter à chose moins connue, voire de nous inconnue : le Milieu du Monde.
Le milieu, à proprement parler, n’est pas véritablement le centre. Le milieu est à égale distance de deux points que nous restons toujours libres d’imaginer sur différents plans, tandis que la notion de centre induit un point intérieur fixe.
Pour parvenir à l’idée du Milieu du Monde, nous devons d’abord je crois nous dévêtir intellectuellement, nous défaire de ce que nous croyons savoir, par exemple concernant l’axis mundi, l’Arbre Séphirotique, et autres voies labyrinthiques propres à nous égarer. Nous devons détisser, chercher les idées derrière les mots, et même bien au-delà des symboles avec lesquels il peut être parfois si facile de jongler. Nous devons dé-lire.
Nous pourrions alors je pense évoquer un quelque-nulle-part, qui serait à mi-lieu. A mi-chemin. Mais comme la pointe élevée d’un triangle l’est de ses deux angles de base.
Cet espace singulier, nous pourrions le concevoir comme zone de tramage de deux autres environnements. Comme une zone d’interférences aussi, c’est-à-dire de superposition d’ondes en partie de même nature entre, d’une part, le monde extérieur à nous, et, d’autre part, ce que nous désignons comme étant notre monde intérieur, c’est-à-dire celui à partir duquel nous lisons le monde extérieur comme réel, et également notre monde dit « intérieur » comme imaginaire, ou, d’une quelconque façon, comme relevant de l’ordre de la simulation.
Une telle zone intermédiaire, médiane et médiatrice, pourrait en fait être à mi-lieu. Ni extérieure, ni intérieure, dans un entre-deux, dans l’interstice et le laps, la compénétration, là où ça ne coïncide plus vraiment et où un switch peut se produire, comme la simple action d’un commutateur qui rendrait l’interconnexion possible.
Jouer avec les mots, se jouer du langage, pourrait permettre cette bascule. Par exemple, pointer le double sens de « gravité » dans toute sa force de gravitation, et toute la polysémie du terme « milieu », jusqu’à l’immonde peut-être, pour passer du « centre de gravité » à un « milieu de gravité ». D’autres parcours à imaginer sont possibles et, espérons-le, nombreux. Parce qu’il n’en a aucune, un tel espace peut accueillir toutes les formes.
Une approche chronotopique, c’est-à-dire qui reconsidérerait les éléments, à la fois, temporels et spatiaux, contenus dans le thème de ce festival 2015, pourrait ainsi cet été faire coïncider à Chavaniac-Lafayette l’espace géographique physique avec… le Milieu du Monde.
Egolocaliser (géolocaliser en soi) cet espace mental, le Milieu du Monde, pensé comme intérieur, et tracer de possibles trajets pour y parvenir, pour y advenir, serait peut-être alors véritablement se permettre l’accès au non-site de l’Arbre du Milieu du Monde, à ce non-emplacement, ce non-lieu du langage courant où la Parole s’arrêterait pour faire véritablement sens.
J’imagine que cet espace joue comme le miroir et autres artifices dont usa Diego Vélasquez dans sa célèbre toile Las Meninas, et pouvoir peut-être en arriver ainsi à une conclusion assez proche de celle de Michel Foucault en 1966 dans son essai Les mots et les choses. Cet espace-miroir du Milieu du Monde : « restitue la visibilité [la lisibilité] à ce qui demeure hors de tout regard. ».
Lorenzo Soccavo, chercheur en prospective du livre et de la lecture.
Pourquoi l’arbre nous touche-t-il?
Parce que son bois inventa le feu,
Le papier et le carton.
Parce que son feu inventa le charbon,
Et son tronc, le cylindre;
Sa feuille, l’ombre et la lumière;
Sa ramure, ma cabane, la balançoire
Et l’escalade vers le ciel, le soleil!
Et quand,
Immobile,
Avec la forêt,
Jouant
A cache-cache,
Toujours le même
Mais différent,
Il nous apprend:
Présence, absence,
Murmure, silence.
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère!
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.
Victor Hugo
« Le Créateur a planté, pour tous les habitants de la terre, un Arbre sacré sous lequel ils peuvent trouver ensemble l’apaisement, la force, la sagesse et la sécurité. Les racines de cet arbre s’enfoncent profondément dans notre Mère la Terre. Ses branches s’élèvent vers le firmament comme des mains tendues pour une prière à notre Père le Ciel. Ses fruits représentent les dons du Créateur : des enseignements qui montrent le chemin de l’amour, de la compassion, de la générosité, de la patience, de la sagesse, de la justice, du courage, du respect, de l’humilité et de tant d’autres vertus.
Les anciens nous ont appris que la vie de l’Arbre est intimement liée à celle des Êtres. Si les Êtres s’écartent de l’ombre protectrice de l’Arbre, s’ils oublient de se nourrir de ses fruits ou s’ils se tournent contre lui et cherchent à le détruire, un grand malheur s’abbattra sur eux. Nombre d’entre eux auront la mort dans l’âme. Ils perdront leur force morale. Ils cesseront de rêver et d’avoir des visions. Ils se querelleront pour un oui ou pour un non. Ils deviendront incapables de dire la vérité et d’avoir des rapports honnêtes entre eux. Ils ne sauront plus survivre sur leurs propres terres. Ils seront en proie à la colère et à la mélancolie. Petit à petit, ils s’empoisonneront et empoisonneront tout ce qu’ils toucheront.
Il avait été prédit que ces événements se produiraient, mais que l’Arbre ne mourrait jamais. Et tant que l’Arbre conserve la vie, les Êtres la conservent aussi. Il avait également été prédit qu’un jour les Êtres se réveilleraient comme s’ils sortaient d’un long sommeil, en état d’hypnose, et qu’ils repartiraient, timidement d’abord, puis avec une grande ardeur, à la recherche de l’Arbre sacré.
Où se trouve cet arbre, quels sont les fruits qui en garnissent les branches? Voilà un secret que nos sages chefs et anciens ont toujours gardé et conservé précieusement dans leur esprit et leur cœur. Ces âmes humbles bienveillantes et dévouées guideront quiconque s’engage avec honnêteté et sincérité sur le chemin menant à l’ombre protectrice de l’Arbre sacré.
Wantaqo’ti… »
D’après un texte amérindien, choisi par Elvire Ogiwara, femme de connaissance de traditions amérindienne et shamanique.
Mitan vertical aux racines benthiques
l’écheveau de ses feuilles court vers l’horizon
et le clown qui rit de ses peaux douces
se mêle à l’arlequin dans ses basses saisons
elle agrippe en dansant les vents et les chansons
et cache dans son sein l’enfant et les défunts
Eddy Saint-Martin
mars 2015
En 1931, Henri Pourrat décrit au travers du récit de Gaspard des Montagnes, les bois noirs du Forez :
« Elles n’ont rien de trop gai, les forêts qui s’en vont sur ces plateaux, du côté de la Chaise-Dieu. Des sapins, des sapins, des sapins, jamais une âme. Les chemins sablonneux s’enfoncent de salle obscure en salle obscure, parmi la mousse et la fougère, sous ces grandes rames balançantes. Les grappes du sureau rouge tirent l’œil, ou bien quelque pied de digitale pourprée. Il y a des endroits où le soleil semble n’avoir point percé depuis des mondes d’années : c’est sombre, c’est noir, c’est la mort. Une forêt comme celle de la complainte de sainte Geneviève de Brabant, où des ermites peuvent vivre solitaires et qu’on imagine pleine de loups, de renards, de blaireaux. A dix pas, sait-on ce qui se ce cache derrière ces fûts gercés des arbres où la résine met des traînées de suif ? Tout remue, mais remue à peine. Tout est silence, mais un silence traversé de vingt bruits menus. Une belette qui se sauve, un souffle de vent dans la feuille des houx, une fontaine qui s’égoutte derrière la roche. Et lorsque le sentier monte en tournant sous le couvert, à travers les masses de pierres détachées, dans le désordre des sapins penchés sur leurs nœuds de racines, on croirait aller vers des cavernes de faux-monnayeurs et de brigands. »