Archives annuelles : 2016

L’arbre vivant et l’arbre mort de l’église orthodoxe

 Myriam Wazé envoie ces photos et texte :

« Chaque fois que je vais assister à un office dans cette petite église orthodoxe russe, je ne cesse de m’émerveiller devant l’originalité de ces deux troncs d’arbre qui semblent faire partie de la charpente. La minuscule église du 91 rue Lecourbe (Paris) a été construite autour de ces arbres dans les années 1920. De l’un, il n’en reste que le tronc, mais l’autre est bien vivant puisque on aperçoit la partie haute qui dépasse de la toiture.arbre orthodoxe 1

Le revêtement intérieur de l’église,  en lambris de bois foncé, les icônes en bois peint confèrent à ce lieu une sérénité apaisante et  enveloppante.

Et cet arbre qui a été sauvegardé a quelque chose de quasi sacré, puisqu’il représente la vie, rendant comme sensible la présence divine.C’est une représentation insolite et inattendue de la présence d’un arbre dans un lieu où on ne l’attend pas. Il agit sur moi puisqu’il évoque la Russie, la taïga et ses forêts…

Toute la présence du vieil arbre mort et de celui qui est vivant concourt à un ressenti mystique, si typique de ces sombres églises orthodoxes. L’odeur de cire brûlée des petits cierges renforce une forme d’élévation spirituelle, comme si cet arbre vivant devait manifester une forme de vie, côtoyant la mort et le souvenir des défunts.aebre orthodoxe 2

Ce sont plus des impressions personnelles que philosophiques qui me permettent de me sentir bien dans ce lieu. Est ce due à la seule présence de ces deux arbres ? Mais à coup sûr, ils rendent vivante cette église qui n’est ouverte que lors des offices. »

 

Récit d’une forêt de Yakoutie

Au nord-est de la Sibérie, dans les boucles du fleuve, vivent le peuple Sakha (yakoute), attaché à la pêche et à l’élevage. En 1929, une jeune auteur Nicolaï Neoustroïev issu du monde paysan, refondateur du théâtre Sakha, met en forme un vieux récit de son peuple, le Pêcheur ( (Balyksyt) que les éditions Boréalia publient pour la première fois en français en 2012, accompagné du film récent de Viatlechsav Semionov, tourné en république Sakha. La forêt est animée de l’esprit de Baianaï, l’esprit de la taïga touffue. Le texte ancien et le film font la part belle à l’âme des paysages, dans un sensibilité animiste, qui a été, dans les années 1930, réprimée en Union Soviétique.

Cet extrait pourrait se nommer : « Juste la joie d’être dans la nature.. »

« Quelle merveille ! Qui donc  a voulu que Dame nature fasse pousser ici cette forêt si noire qu’elle masque à la fois le soleil et le ciel ?

Et quelle immense forêt les amis ! Le vent souffle avec force sur ses mélèzes majestueux dont les branches pesantes se balancent lentement. C’est comme si les arbres refusaient de gratter de leur cime le plafond du ciel bleu et s’élançaient de toute leur hauteur depuis la terre gelée.
Aucun bruit ne vient troubler la quiétude environnante. On pourrait entendre le silence. Parfois un lièvre apeuré se faufile comme un éclair parmi les arbres.  Il arrive aussi que dans le ciel scintillant, on aperçoive un coq de bruyère scrutant le ciel, perché au sommet d’un mélèze.(…) Je lève les yeux et aperçois, dans les hauteurs du mélèze, le nid d’un balbuzard. Entre les branches, le nid de l’aigle pêcheur ressemble aux cheveux d’un sauvage qui auraient été coupés avec un couteau aiguisé. De temps en temps, l’oiseau s’élance hors de son abri touffu. Ses ailes noires déployées, il fait le tour du lac, puis disparaît aussitôt (…) Dans ce monde ou tout est sacré, il n’y a ni animal ni oiseau qui ne soient faits pour être admirés. »

Un vieil arbre symbolique, né au sein des batailles

On date de 911 la naissance du chêne d’Allouville  Bellefosse, ce qui coïncide avec la création du duché de Normandie (« Pays des hommes du Nord »), issu des raids vikings.  Ce chêne, actuellement  d’une douzaine de mètres de circonférence est creux.La légende lui assigne d’avoir hébergé Théobald du Cerceau, qui de retour de la cinquième croisade, se fit ermite au sein du grand végétal.   Il avoisinait jusqu’à l’époque moderne, deux arbres magnifiques, de même trempe : un hêtre et une épine noire, également plantés entre le cimetière et l’église.

En 1696, quarante enfants des écoles pouvaient y tenir ensemble. Le curé de la paroisse y fit alors construire un sanctuaire dédié à la Vierge, Notre-dame de la Paix. Sous la Révolution française, quelques ennemis des symboles de l’Ancien Régime, vont enflammer les trois arbres. Seul le chêne restera intact, préservé par l’instituteur, Jean- Baptiste Bonheur, qui  transforma l’offertoire marial en temple de la raison.

Monument historique depuis 1932, un film  comique des années 1980, Le chêne d’Allouville   réactualise l’ancienne querelle des amoureux et des détracteurs de l’arbre, suggérant une bataille paysanne pour préserver l’arbre des promoteurs.  Actuellement fragilisé, le chêne millénaire survit grâce à des étais, mais suscite chaque année la visite de  plusieurs milliers de curieux qui rêvent encore à la longue histoire des arbres…

 Dans une dimension analogue,  mais sans que les passants viennent le saluer, un olivier plusieurs fois centenaire continue a croitre sur la montagne libanaise,  dans la cour du sanctuaire Beth Mary. Il a survécu à bien des misères, tant son tronc est constellé de pierres broyées par les racines (photo à la une).  Plus proche du village de Lafayette, un tilleul creux offre une belle ramure sur le village forezien de Varennes Saint-Honorat. On peut imaginer que ces arbres, refuges ou sentinelles, plantés près des cimetières, sont les témoins d’un passé qui façonne profondément notre inconscient collectif.

La forêt russe et la passion Tchekhov

En 1897, Anton Tchekhov, nouvelliste, dramaturge et médecin réputé, écrit Oncle Vania qui demeure une des plus belles œuvres du théâtre russe du XIXe siècle : dans le dialogue qui suit, le médecin Astrov exprime son amour des arbres et son dévouement à soigner les hommes et les bois.

Elena : Toujours les bois, les bois ! J’imagine que c’est monotone.

Sonia : Non c’est absolument passionnant (…) il se met en quatre pour que l’on ne détruise pas les vieux arbres (…) il dit que les bois ornent la terre, apprennent à l’homme à comprendre le beau, et lui inspirent une humeur élevée. Les forêts adoucissent la rigueur du climat. Dans les pays ou le climat est doux, on dépense moins de force pour lutter avec la nature et l’homme est plus doux, plus tendre (…) Chez eux fleurissent la science, l’art. Leur philosophie n’et pas morose. Leurs rapports avec les femmes sont pleins de noblesse.

Voiniski (riant) : Bravo, bravo, tout cela est charmant, mais peu convaincant. Aussi mon ami, permets moi de chauffer mes cheminées au bois et de construire des hangars en bois.

Astrov : Tu peux chauffer tes cheminées avec de la tourbe et construire tes hangars en pierre. Enfin, coupe les bois par nécessité ; mais pourquoi les détruire ? Les forêts russes craquent sous la hache. Des milliards d’arbres périssent. On détruit la retraite des bêtes et des oiseaux. Les rivières ont moins d’eau et se dessèchent. De magnifiques paysages disparaissent sans retour. Tout cela parce que l’homme paresseux n’a pas le courage de se baisser pour tirer de la terre son chauffage. (…) Il faut être un barbare insensé pour brûler cette beauté dans la cheminée, détruire ce que nous ne pouvons pas créer. (…) Il y a de moins en moins de forêts. Le gibier a disparu. Le climat est gâté et la terre devient de plus en plus pauvre et laide (…) Et… tiens… c’est peut être une manie, mais quand je passe devant des forêts de paysans que j’ai sauvées de l’abattage, ou quand j’entends bruire un jeune bois que j’ai planté de mes mains, j’ai conscience que le climat est un peu en mon pouvoir, et que si, dans mille ans, l’homme est heureux, j’en serais un peu la cause. Quand j’ai planté un bouleau et le vois verdir et se balancer au vent, mon âme s’emplit d’orgueil, et… J’ai l’honneur de vous saluer ».

Écrire, ou l’inspiration des arbres

Naguère, à l’aube du Moyen âge, les monuments de pierre étaient peu nombreux. Les pierres levées servaient de repères, dressées sur des points telluriques qui témoignaient aussi de gravures spiralées, à l’intime des énergies pétrifiées. On raconte qu’en 772, Charlemagne, lors d’une expédition militaire contre les Saxons rebelles à la christianisation, fit détruire le sanctuaire d‘Irminsul qui, dans le bosquet sacré qui le protégeait, avait forme d’un tronc d’arbre, « colonne cosmique »  (décrit naguère par l’historien romain Tacite) qui soutenait symboliquement la voute céleste.

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Installation d’Eddy Saint-Martin sur roue de charrette (Arts Foreztiers 2015)

Adam de Brême, évêque évangélisateur de la région de Hambourg, décrit trois siècles plus tard un sanctuaire botanique analogue, près d’Uppsala en Suède :  » Près de ce temples, se trouve un arbre gigantesque, qui étend largement ses branches ; il est toujours vert, tant en hiver qu’en été. Personne ne sait quel arbre c’est ».  Est ce un frêne, un chêne, un thuya, ou le concentré des trois forces ? On retrouve la forme de l’arbre qui enserre la planète, sur des tombes baltes jusques au XVIIe siècle.

Cette concordance des pierres levées et des colonnes, sculptées comme des troncs d’arbres mythiques, se retrouve dans les formes d’écriture des navigateurs anciens. Au  début du Moyen âge, une écriture irlandaise, faite de pointes de flèches, tisse des correspondances avec les arbres, les arbrisseaux et la végétation : vingt lettres fixes et cinq lettres variables forment un alphabet oghamique qui succède sans doute aux runes plus anciennes, comme lui, dédiées à la divination. Toutes les lettres, sauf une, s’en réfèrent à la végétation (frêne, noisetier, fougère…), sauf la lettre de la « mer » qui circule mystérieusement entre la botanique irlandaise. Certains exégètes soutiennent la ressemblance entre la rune Tiwa, « la flèche tournée vers la victoire » et l’arbre symbolique d’Irminsul.

Les idées de divination, de magie qui s’attachaient chez les Celtes aux arbres, objet de leur culte, ont donc donné naissance à cet alphabet magique, ces runes merveilleuses qui représentaient les différentes lettres par leurs pousses, leurs scions. Ces signes recevaient chacun le nom d’un arbre, de l’arbre sur le bois, duquel on les inscrivait, on les gravait par incision, et puis on agitait ensuite ces fragments taillés, de manière à en tirer des augures. Plus tard cet assemblage de signes fournit à l’alphabet runique ses éléments, et cet alphabet en garda le nom d‘Ogham craobh, c’est-à-dire l’arbre aux lettres.

À suivre…

                                                                                                                                                               Sylvie Dallet